PERRAULT PIERRE (1927-1999)
D'abord avocat, le Canadien Pierre Perrault est venu au cinéma par la radio (Au bord de la rivière, 1955-1956, Le Chant des hommes, 1956-1958), quand il a pu capter la parole vivante insérée dans le vécu. Il est, avec Michel Brault (auteur d'un petit film, Les Raquetteurs, 1958, considéré comme le manifeste d'un nouveau cinéma), à l'origine de l'explosion du cinéma direct au Québec, quand les Québécois, dans le mouvement de la « révolution tranquille » ont eu le sentiment de sortir d'une longue nuit, mais aussi quand de nouvelles techniques ont révolutionné le cinéma documentaire. Prolongeant son expérience de radio, Pierre Perrault réalise d'abord pour Radio-Canada une série de treize films : Au pays de Neufve-France (en collaboration avec René Bonnière ; 1960). Avec le « cycle de l'Île-aux-Coudres » (Pour la suite du monde, en collaboration avec M. Brault, 1964 ; Le Règne du jour, 1966 ; Les Voitures d'eau, 1968), il se rend aux sources de la culture des Canadiens français, célébrant la remontée du Saint-Laurent par Jacques Cartier comme un événement national fondateur épuré de toute fabulation, ce qui lui a valu d'être accusé de se complaire dans une vision passéiste. Il s'est ensuite attaché à réfléchir sur l'identité québécoise avec Un pays sans bon sens (1968), réflexion qu'il a poursuivie dans l'actualité à la faveur d'une grève d'étudiants à Moncton, ville de la province voisine du Nouveau-Brunswick où le français est minoritaire (L'Acadie, l'Acadie, en collaboration avec M. Brault, 1971). Plongeant toujours plus profondément dans l'univers québécois, il entreprend successivement le « cycle de l'Abitibi » (Un royaume vous attend, 1976 ; Le Retour à la terre, 1976 ; Gens d'Abitibi, en collaboration avec B. Gosselin, 1980), puis le « cycle amérindien » (Le Goût de la farine, en collaboration avec B. Gosselin, 1977 ; Le Pays de la terre sans arbres, ou Mouchouânipi, 1980). Son expérience et son talent éclatent dans La Bête lumineuse (1982), récit d'une force rare dans le documentaire, traitement clinique de l'imaginaire québécois à travers la chasse, la forêt et la convivialité de paroxysme. Partant de Saint-Malo sur les traces de Jacques Cartier, en qui il ne voit pas seulement un découvreur, mais un maître en écriture et en fidélité au réel, il traverse l'Atlantique sur un bateau à voile et retrouve, en remontant le Saint-Laurent, des protagonistes de ses films précédents (Les Voiles bas et en travers, 1983 ; La Grande Allure, 1985). Depuis toujours attiré par le Nord, il s'enfonce dans l'extrême nord du Québec, puis à Ellesmere, au-delà du cercle polaire, pour filmer pendant plusieurs années dans son élément le bœuf musqué, dont le combat pour la survie lui semble une parabole du « royaume » dont il a poursuivi la quête depuis le début de son œuvre (L'Oumigmag, ou l'Objectif documentaire, 1993 ; Cornouailles, 1994).
Auteur de plusieurs recueils de poèmes (Gélivures, 1977, est une première approche du bœuf musqué, figure centrale de ses derniers films), il est, parmi les grands documentaristes, celui qui a le plus passionnément défendu les rapports étroits de l'image et du réel. Avec L'Oumigmatique ou l'Objectif documentaire (1995), récit de tournage et surtout essai sur le documentaire (1995), il a défini sa méthode et sa conviction de n'être qu'un intercesseur du réel. Ses protagonistes, dont il fait les tribuns de la cause du pays à défendre, sont, à ses yeux, les vrais auteurs de ses films. Son montage méticuleux et complexe n'est qu'une manière de leur rendre justice, travail toujours suivi d'une transcription écrite – une façon pour lui de compléter les archives cinématographiques du Québec.[...]
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Écrit par
- Guy GAUTHIER : écrivain et critique de cinéma, ancien chargé de cours à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, docteur de troisième cycle, université de Paris-VII-Denis-Diderot
Classification
Autres références
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CINÉMA (Cinémas parallèles) - Le cinéma documentaire
- Écrit par Guy GAUTHIER et Daniel SAUVAGET
- 5 408 mots
- 2 médias
...direct, sous diverses étiquettes, devient une sorte de tronc commun pour un cinéma documentaire qui n'en finit pas de se diversifier. Tandis que Pierre Perrault persiste dans la voie qu'il a en partie inaugurée d’un « cinéma de la parole » (Le Règne du jour, 1966 ; La Bête lumineuse...