PUGET PIERRE (1620-1694)
Le Michel-Ange de France
En juillet 1668, sollicité pour diriger l'atelier de sculpture de l'Arsenal de Toulon, Puget quitta Gênes, où il retourna cependant régulièrement, pour achever son Assomption, régler diverses affaires et laisser active la menace constamment brandie, dans ses négociations avec Colbert et Villacerf, de quitter la France.
Outre des projets pour l'extension de l'Arsenal, écartés pour être trop ambitieux, Puget dessina régulièrement, jusqu'au 1er janvier 1679, date de son licenciement de l'atelier, plus irrégulièrement après, des modèles pour plus d'une trentaine de navires, dont la richesse se heurta bientôt aux recommandations de les alléger selon la mode anglaise.
Mais, marquant qu'il souhaitait surtout servir le roi comme sculpteur, Puget avait obtenu de Colbert, en décembre 1670, l'autorisation de sculpter trois blocs de marbre pour le roi et la permission de choisir ses sujets. Ce seront le Milon de Crotone, un Persée délivrant Andromède et le bas-relief monumental d'Alexandre et Diogène, tous trois aujourd'hui au Louvre. Une étude conservée au musée des Beaux-Arts de Rennes permet de saisir la première invention pour le Milon : arquebouté en oblique, la main prise dans le tronc qu'il a voulu fendre, Milon est attaqué de dos par un lion, tandis que sa toge glisse sur son bras. Au-delà des notions de classique et de baroque, qui n'ont pas de sens dans l'esthétique du xviie siècle et qu'il vaudrait mieux abandonner, le groupe de Puget apparaît comme la tentative réussie de rivaliser avec le groupe antique du Laocoon, alors universellement admiré, dans la représentation puissante d'un corps tendu par la douleur (exemplum doloris) : muscles bandés par l'effort, veines saillantes et visage souffrant, renversé en arrière à la pointe du triangle de la composition. Le marbre, signé et daté 1682, fut mis en place dans les jardins de Versailles, à l'entrée du Tapis vert en 1683. Il suscita immédiatement l'admiration générale, et Louvois écrivit qu'il était prêt à acquérir pour le roi « tout ce que fera ledit Puget, pourvu qu'il soit de la force du Milon ». Commencé en 1678, le Persée, signé et daté 1684, vint lui faire pendant en 1685. Si le thème du troisième bloc avait été choisi dès 1670, dégrossi en 1679, à « deux tiers fait » en 1683, il fut achevé seulement en 1689. Le grand bas-relief organise la scène sur une série d'obliques affirmées, autour des deux figures d'Alexandre et de Diogène, installés au premier plan en un puissant haut-relief, devant un groupe compact de soldats en demi relief au second plan, tandis qu'un fond d'architecture se développe dans la partie haute. En 1692, Puget s'attaqua à un nouveau grand bas-relief, Saint Charles Borromée priant pour les malades de la peste (musée des Beaux-Arts, Marseille), qu'il acheva en deux ans. Dans ce panneau très pictural, Puget maîtrise le passage des quasi rondes-bosses du premier plan aux bas-reliefs écrasés des arrière-plans avec une virtuosité qui lui a permis de dire qu'il s'agissait là d'« une des meilleures choses » qu'il eut faites. En janvier 1694, Puget tenta en vain de le vendre au roi, et à sa mort, le 2 décembre suivant, il se trouvait encore dans son atelier.
En octobre 1683, Puget écrivait à Louvois : « Je me suis nourri aux grands ouvrages, je nage quand j'y travaille, et le marbre tremble devant moi, pour grosse que soit la pièce. » Marquant bien les préférences de sa jubilation créatrice, il indiquait qu'il avait « quitté le pinceau » « depuis environ vingt ans ». Cependant, Puget, qui signe encore en 1684 son Persée « P. Puget Massil. Sculp. Arch. Et Pic. » (Pierre Puget, Marseillais, sculpteur, architecte et peintre), peignit encore quelques marines et[...]
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Écrit par
- Claude MIGNOT : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Médias
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