REVERDY PIERRE (1889-1960)
Conversion à la poésie
Conversion qui est d'abord – il ne faut point se le dissimuler – une fuite. Reverdy ne sera pas un poète du quotidien, encore moins du quotidien urbain, et il fuit aussi la métamorphose du moderne en insolite. Il s'écarte de cette lignée fascinante qui va du Baudelaire des Poèmes en prose à certaines pages « parisiennes » de Lautréamont, à l'Apollinaire de Zone et au Breton de Nadja. S'il fallait lui trouver un frère spirituel, comme lui en marge du surréalisme, mais dans une formulation littéraire radicalement différente, il faudrait plutôt songer à l'un de ses cadets, le Julien Gracq du Rivage des Syrtes et de La Presqu'île, qui pourrait dire, peut-être, lui aussi, comme Reverdy :
« L'écho se détache du bois touffu / où tout se confond et sue / Il est seul / sautant de pierre en pierre sous les ponts / C'est ma voix dégagée / mon nom une lumière les yeux fermés » (« Écho », in Cravates de chanvre, 1922).
Et ce dégagement de la voix, cette lumière manifestée aux « yeux fermésde la contemplation » (on songe à une œuvre célèbre d'Odilon Redon qui porte ce titre), c'est l'autre face, la face positive, de la conversion poétique : conquête de la nature dans sa vérité, au-delà de la duperie des apparences, conquête aussi, au même instant, de l'essence de l'âme, au-delà des duperies de son existence. Mais il n'oublie pas que le poète a pour fonction d'être le manouvrier du verbe, et plus précisément de l'image ; et par la justesse, comme il dit, de l'image, au-delà des illusions du rêve et de l'inconscient, ce sera désormais le cheminement scrupuleux d'une insatiable poésie de l'absolu. Tous ces « au-delà », qui figurent l'effort solitaire et contemplatif du poète, Reverdy ne finira jamais de les affronter pour les conquérir, en s'obstinant à une « subordination totale du physique à l'esprit » (Le Gant de crin, 1927).
Et pour que le réel de la nature et de la conscience s'ajuste au lyrisme de l'esprit, il faut bien une « technique », il faut bien mettre en œuvre des moyens verbaux, il faut bien que l'ajustement se fasse dans un poème. Peut-être est-ce dans le secret de son rythme que l'auteur réalise le mieux son approximation poétique de l'absolu, car l'image même, et le symbole, et la suggestion discrète des mythes obsédants, ce qui est pour ainsi dire la chair poétique des mots, tout cela tend à se résoudre dans une parfaite justesse de ce qui fonde l'âme poétique des mots, le rythme. Il y a chez Reverdy un art de la concentration syllabique qui fait à la fois son hermétisme et son efficacité : « Mon cœur ne bat que par ses ailes... », dit-il ; les « ailes du cœur », ce sont bien ces jeux rythmiques de syllabes qui sous-tendent la suggestion symbolique, qui promettent l'image plus qu'ils ne la donnent, qui réconcilient l'humanité du contemplatif avec la confidence du lyrique. Pour opérer le parfait ajustement de son âme et de son rythme, le poète ne cesse de faire croître en lui la conscience des moyens de son langage propre : la construction d'une poétique ne cesse d'accompagner la création du poème, et Reverdy est un témoin exemplaire de cette réciprocité entre poétique et poésie qui constitue la source la plus profonde de son originalité.
Poétique et poésie de la pureté, refus de toute ambiguïté, pureté qui vise un absolu métaphysique immanent à la parole poétique même, incessant combat avec l'Ange, mais sans prométhéisme, dans le double secret de la conscience et des rythmes de son verbe, s'il est vrai que « la poésie est à la vie ce que le feu est au bois ». Et la poésie est bien un peu ce « visage qui éclaire et réchauffe les choses dures, qui faisaient partie de la mort ».[...]
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Écrit par
- Henri LEMAÎTRE : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, docteur ès lettres
Classification
Média
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