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ROSANVALLON PIERRE (1948- )

Engagement politique et intellectuel

L’investissement académique de Rosanvallon et sa production massive de livres ne l’éloignent pas de l’espace public. Lorsque Furet crée en 1982 la fondation Saint-Simon avec le patron de Saint-Gobain, Roger Fauroux, Rosanvallon en devient le secrétaire général, jusqu’à sa dissolution en 1999. La fondation rassemble chefs d’entreprise, hauts fonctionnaires, hommes de médias, universitaires et politiques du centre gauche et du centre droit. Elle insiste sur le caractère indissociable de la démocratie et de l’économie de marché, et accompagne la conversion de la gauche au libéralisme économique. Elle a été vivement critiquée à ce titre, mais aussi en raison de son élitisme et de son influence sur la vie politique, médiatique et intellectuelle. Lors de la grève de novembre-décembre 1995, Rosanvallon signe la pétition – initiée par la revue Esprit et portée par la fondation Saint-Simon – de soutien au plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale, appuyé par la CFDT. Il se fait alors remarquer par ses prises de position contre ce qu’il nomme une « gauche de posture », celle qui critique le néolibéralisme.

C’est pour réarmer la gauche, et « refonder une critique sociale », qu’il crée en 2002, la République des idées, atelier intellectuel associé à la revue Esprit, qui publie la revue en ligne La Vie des idées et une collection coéditée avec le Seuil. Il y publie en 2002 l’essai de Daniel Lindenberg Le Rappel à l'ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, qui vise des penseurs autrefois proches de lui, tels que Manent ou Gauchet, semblant ainsi vouloir tourner la page de son centrisme passé. Dans son livre Notre histoire intellectuelle et politique, paru en 2018, Rosanvallon expliquera la disparition de la gauche par l’épuisement de ses idées.

En 2014, Rosanvallon lance le projet « Raconter la vie », dont Le Parlement des invisibles, qu’il publie la même année, constitue le manifeste. Il s’agit de donner à entendre les vies ordinaires, celles des invisibles, dont le silence mènerait aux extrêmes et aux populismes – auxquels il consacrera un livre en 2020, Le Siècle du populisme. Le projet s’appuie sur la publication jusqu’en 2017 d’une vingtaine de livres au Seuil, écrits en partie par de « véritables invisibles ». Un site Internet participatif complète cette collection papier et permet à des anonymes de partager des moments de leur existence. L’ensemble des histoires publiées dessine une société largement atomisée, correspondant à l’image d’une France marquée par un « individualisme de singularité ». Dans cette ligne, Rosanvallon publie en 2021 Les Épreuves de la vie,sur la demande grandissante de chacun à être reconnu dans sa singularité. Davantage que les identités de classe, ce seraient désormais les expériences vécues, les épreuves de la vie qui détermineraient nos rapports aux autres et aux institutions. Privilégiant la compréhension des émotions, plutôt que des rapports de force sociaux, Rosanvallon va à rebours de lectures conflictuelles du monde construites sur les antagonismes de classes. Ces écrits ne présentent pas de perspective de rupture pouvant mener à l’émancipation. Pourtant, Rosanvallon appelle celle-ci de ses vœux et a annoncé, à la fin des années 2010, un prochain Traité de l’émancipation au xxie siècle.

Officier de la Légion d’honneur depuis 2010, un temps membre du très élitiste club Le Siècle, Rosanvallon est devenu une référence intellectuelle, chacun de ses ouvrages recevant dans les médias un écho important.

— Paula COSSART

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Écrit par

  • : maître de conférences en sociologie, université de Lille, faculté des sciences économiques sociales et des territoires, Centre d'études et de recherches administratives, politiques et sociales

Classification

Média

Pierre Rosanvallon - crédits : Ulf Andersen/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Pierre Rosanvallon

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