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SOULAGES PIERRE (1919-2022)

Surgie dans l'après-guerre, radicalement abstraite mais éloignée de l'art géométrique, reçue favorablement aux États-Unis, la peinture de Pierre Soulages a pu être un temps rapprochée de l'action painting, quand on ne la rangeait pas du côté d'un art gestuel à la française. Mais, travaillant hors de tout groupe, n'obéissant qu'à son impératif intérieur, ce peintre a toujours su échapper à tout positionnement théorique collectif et son œuvre n'a jamais évolué que selon ses propres lois. En plus de soixante ans d'activité, la permanence de la manière de Soulages est remarquable. Cette grande allure qui n'est qu'à lui, de force contenue, d'autorité, de monumentalité et de rigueur sans raideur, reconnaissable dans chaque pas nouveau, et qui unit subtilement les toiles, les papiers, les estampes, les vitraux et ses quelques bronzes, relie tout l'ensemble non à l'histoire de la peinture d'abord, mais aux racines du peintre et à ses goûts d'enfant, quand, peignant à l'encre noire au pinceau sur des feuilles blanches la neige, il construisait son rapport originaire et définitif à la peinture. Cette passion de la lumière exaltée par le noir n'a pas cessé de guider sa main et son œil.

Vers l'« outrenoir »

Né à Rodez le 24 décembre 1919, caché à Montpellier pendant la guerre pour échapper au Service du travail obligatoire (STO), Pierre Soulages gagne Paris en 1946 pour se consacrer à la peinture. Lorsqu'il apparaît soudainement au grand jour au Salon des surindépendants en 1947, son travail, immédiatement salué par Francis Picabia et Hans Hartung, reçoit très rapidement une reconnaissance internationale et ses toiles entrent, dès le début des années 1950, dans les collections des plus grands musées européens et américains. Son audience ne cessant de croître, les rétrospectives internationales se sont succédé dans les quatre continents depuis 1960, et son œuvre est présentée aujourd'hui dans le monde entier. Une aile du musée Fabre à Montpellier accueille, depuis 2007, trente et une de ses toiles, et un musée Soulages, consacré notamment à son œuvre sur papier, a été inauguré le 30 mai 2014.

En plus de soixante années d'activité, il a réalisé près de 1 700 peintures sur toile et de 600 peintures sur papier, ainsi que 120 estampes (gravures, lithographies, sérigraphies) produites dans une innovation technique permanente (cuivres déchiquetés à l'acide). Il a aussi réalisé, entre 1987 et 1994, les extraordinaires vitraux des 104 fenêtres de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques (Aveyron), pour lesquels il a inventé un verre translucide sensible aux variations de la lumière naturelle, et qui ont restitué à ce sommet de l'art roman la vérité de son admirable espace architectural.

Dès sa première exposition, en 1947, Soulages s'impose comme un des grands innovateurs de la peinture moderne et des plus féconds si l'on songe à l'impact qu'ont eu sur de nombreux contemporains, des deux côtés de l'Atlantique, la diffusion de ses premiers « brous de noix » – cette teinture pour bois –, avec leurs grandes formes noires se lisant d'un coup sur le clair du papier. À la fin des années 1950, son travail se renouvelle par l'intervention de transparences colorées dans une dynamisation de la surface. Dix ans plus tard, ce sont ses grandes toiles en noir et blanc qui bousculent le regard, avec l'intervention de ce que le philosophe et critique Harold Rosenberg désigne comme une « macrographie » qui lui est propre.

En 1979, Soulages passe à une peinture autre : ses toiles sont entièrement recouvertes d'un unique noir, sans être pourtant des monochromes. La matière colorée, en effet, est travaillée en épaisseur de deux manières différentes selon qu'elle est étalée par la brosse, à gestes[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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