VERGER PIERRE (1902-1996)
Photographe, ethnologue, historien spécialiste de la culture et des religions africaines, Pierre Verger fut tout cela à la fois, mais aucune de ces étiquettes ne parviendra jamais à cerner une vie et une œuvre qui excèdent les cadres conventionnels.
Né à Paris le 4 novembre 1902 dans une famille de la grande bourgeoisie, il est mort le 12 février 1996 dans un dénuement volontaire, habitant une modeste maison de bois dans un quartier pauvre de Salvador (Brésil). Sa biographie est de celles qui démentent les vers de T. S. Eliot : « Dans ma fin, il y a mon commencement, dans mon commencement, il y a ma fin. » Il serait en effet difficile d'imaginer contraste plus radical que celui qui existe entre la naissance et la mort de cet homme qui s'est littéralement reconstruit lui-même, tout au long d'une vie qui couvre presque le siècle.
Le changement de nom constitue la meilleure clé pour comprendre cette reconstruction de soi. Baptisé des noms chrétiens et bourgeois de Pierre Édouard Léopold, enterré au cimetière du Tiers-Ordre sous le nom de Pierre Fatumbi (reçu lors de son initiation aux cultes afro-brésiliens), il disait lui-même : « Renaître avec un nouveau nom, c'est perdre l'ancien. D'après les initiations que j'ai vécues, Pierre Verger est mort, Fatumbi est né. Moi, je suis Fatumbi et je reste Pierre Verger. » Son enfance et sa jeunesse furent marquées par l'aisance que permettait la fortune de sa famille, propriétaire d'une grande imprimerie.
À trente ans, peu après la mort de sa mère, il vit le moment des choix décisifs : il s'initie à la photographie et entreprend ses premiers grands voyages d'exploration : la Corse, l'U.R.S.S., Tahiti et la Polynésie. En 1934, il est un des fondateurs d'Alliance Photo, une agence de photographes indépendants. Lorsque la guerre éclate, il est incorporé dans l'armée à Dakar, où il fait la connaissance de Théodore Monod, directeur de l'Institut français de l'Afrique noire (I.F.A.N.).
Démobilisé après l'armistice, il part pour l'Amérique du Sud. Il est engagé en 1946 par l'hebdomadaire O Cruzeiro. Encouragé par Roger Bastide, professeur de sociologie à l'université de São Paulo, il s'installe à Salvador de Bahia, l'ancienne capitale coloniale, cœur du Brésil africain. C'est là qu'il allait découvrir son intime vérité, réaliser la majeure partie de son œuvre et s'entourer d'amis tels que l'écrivain Jorge Amado. Surtout, il découvre le peuple noir ou métis de Bahia.
C'est du même coup la découverte du culte des Orishas, ces divinités apportées au Brésil par les esclaves nago et yoruba, originaires du golfe du Bénin. Il est présenté à cette époque à Senhora, grande prêtresse du candomblé (la religion yoruba) qui le consacre au dieu du Tonnerre, Shango, en le ceignant d'un collier rouge et blanc, les couleurs distinctives du dieu. Lors d'un voyage au Dahomey (devenu depuis le Bénin) et au Nigeria en 1949, il découvre à Ouidah (Bénin) la correspondance d'un négrier, Tibúrcio dos Santos, relative au commerce d'esclaves entre le golfe du Bénin et Bahia ainsi qu'à l'influence au Dahomey et au Nigeria des anciens esclaves revenus du Brésil. Au terme de dix-sept années de recherche et avec l'appui de Fernand Braudel – intéressé par une approche qui n'avait rien d'universitaire –, il présente en 1966 à la Sorbonne sa thèse de doctorat intitulée Flux et reflux de la traite des nègres entre le golfe de Bénin et Bahia de Todos os Santos du XVIIe au XIXe siècle. Lui, qui était l'incarnation même de l'esprit antiacadémique, qui n'était même pas parvenu au baccalauréat, obtenait le titre de docteur ! Quelques années auparavant, il avait été nommé au C.N.R.S.
À cette époque, ses déplacements[...]
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Écrit par
- Rubens RICUPERO : secrétaire général de la C.N.U.C.E.D.
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