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MONDRIAN PIET (1872-1944)

Découverte du cubisme

Au moment même où il expose Évolution, en 1911, Mondrian découvre tout à la fois Cézanne et le cubisme cézannien de Braque et de Picasso, et ce choc déclenche chez lui le processus qui le conduira à l'abstraction. Il s'aperçoit qu'on ne peut atteindre le but qu'il s'est fixé, peindre l'« universel », en personnifiant l'idée de l'absolu sur le mode allégorique comme il l'a fait dans ses toiles directement inspirées de la doctrine théosophique : personnifiée, cette idée devient « particulière », mondaine, et l'image exprime tout le contraire de ce à quoi elle aspire. Mondrian commence à comprendre qu'il ne pourra atteindre ce but en demeurant prisonnier de l' esthétique traditionnelle de l'Occident. Pourquoi ? Parce que celle-ci est fondée, depuis l'Antiquité grecque, sur les oppositions entre figure et fond d'une part, sens et forme de l'autre. Ce n'est qu'en abolissant ces oppositions que l'on pourra avoir accès à l'absolu en peinture, car elles font chaque fois retomber toute tentative pour peindre l'« universel » dans l'ordre de ce que Mondrian nomme le « particulier » (ou encore le « tragique » du sens ou l'identité de la « forme »). Dès lors, tout son art va s'employer à ce travail de sape dont l'enjeu est considérable : il s'agit de trouver le « degré zéro » de la peinture, son « essence universelle », et d'éliminer toute perception « particulière » qui serait un obstacle sur la voie de son appréhension. Logiquement, la reconnaissance de la surface du tableau en tant qu'unité impondérable de l'art pictural devient le centre de la problématique de Mondrian.

C'est d'abord embryonnaire dans ses première toiles protocubistes de 1911-1912, mais devient manifeste avec la première toile qu'il peint à son arrivée à Paris au printemps de 1912. Dans la Nature morte au pot de gingembre, II, Gemeentemuseum, La Haye, qui reprend le motif d'une toile d'inspiration cézannienne portant le même titre et qui la précède immédiatement, Mondrian tente d'inscrire toutes les figures dans les mailles d'une grille linéaire qui contrôle toute la surface du tableau. L'individualité de chaque sujet, sa « localité » comme disait Cézanne, est sinon entièrement détruite, du moins presque entièrement effacée. Découvrant l'hermétisme du cubisme analytique de Braque et de Picasso, Mondrian en reprend très rapidement divers procédés sans en adopter la visée esthétique, comme le remarque alors finement Apollinaire (des cubistes, il emprunte la palette colorée aux tons ocres et gris et un cadre ovale ou l'estompage des contours à la périphérie du tableau). Dans la décomposition par plans à laquelle il soumet ses motifs, il ne s'agit pas pour lui, comme pour Picasso qu'il admire par-dessus tout, d'analyser la nature sémiologique des codes picturaux et la condition minimale de « lisibilité » des signes articulés selon ces codes, mais d'unifier le champ pictural de sa toile et de le « déhiérarchiser » par un quadrillage linéaire ancrant toute surface dépeinte sur la surface littérale du tableau et prévenant tout creusement optique excessif de cette surface.

Les deux années et demie que Mondrian passe à Paris sont extraordinairement productives. Peu à peu, il en vient à privilégier des motifs frontalisés en ce qu'ils simplifient l'identification entre surface dépeinte et plan du tableau. Après une série d'arbres reprenant des dessins faits aux Pays-Bas et évoluant graduellement vers une suppression de la verticalité et de la courbe au profit d'une organisation réticulaire de la surface de ses toiles, Mondrian a une prédilection pour un motif spécifiquement parisien, l'élévation d'immeubles en déconstruction,[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard

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<it>Petite Maison au soleil</it>, P. Mondrian - crédits : Mondrian/ Holzman Trust/  Bridgeman Images

Petite Maison au soleil, P. Mondrian

Composition de lignes noires, P. Mondrian - crédits : Stichting Kröller-Müller Museum, Otterlo, Pays-Bas. © Holzman Trust

Composition de lignes noires, P. Mondrian

<it>Composition II</it>, P. Mondrian - crédits : Photo 12/ Universal Images Group/ Getty Images

Composition II, P. Mondrian

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