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BRUEGEL L'ANCIEN PIETER (1525 env.-1569)

Conciliation des contraires

Imaginaire de Bosch, paysage de Patenier, « mois » des livres d'heures, paysanneries de petits maîtres : l'art de Bruegel a ses antécédents dans la peinture du Nord ; mais il métamorphose tout ce dont il s'inspire. Et s'il doit sans doute à l'Italie l'ampleur de son regard, l'amour de la vaste lumière, la forte simplicité de la composition, il ne doit qu'à lui-même, et à l'esprit de la Renaissance, ce goût de la liberté créatrice par quoi il s'apparente aux grands peintres italiens, et se distingue de tous.

Son art est par excellence une conciliation des « contraires » : Moyen Âge et Renaissance, Italie et Flandres ; dessin, couleur, et volume ; couleur franche et couleur « impressionniste » ; scène et paysage ; immobilité et mouvement des figures ; espace ouvert sur les lointains et monde clos et global ; vision grandiose et miniature.

Il accorde le familier et l'éternel, le fantastique et le véritable, et le naturel avec l'imaginaire : car ses plus beaux paysages unissent souvent, comme peuvent le faire les songes, les cimes des Alpes, ou bien les clartés de Sicile, et les labours et les glaces de la Campine.

Il unit le plaisir de la pensée et celui du sensible. Plaisir du sensible : le plus enfantin, qui est d'aimer inlassablement les belles images du monde ; le plus savant : quand la peinture est comme une pure musique visible. Cette triple coïncidence est la clef de notre inépuisable bonheur devant une œuvre de Bruegel. L'intelligence s'enchante de connaître humblement et souverainement la vie ; le regard se délecte d'un monde de couleurs vives, fortes, subtiles, et de tant d'équilibres, de courbes et de plans si justement accordés ; la rêverie nous mène au cœur des choses peintes, comme si elles étaient vraies : nous marchons pour toujours en compagnie de ces chasseurs dans la neige, parmi les arbres nus et les fourrés délicats ; et notre regard découvre, très loin, très bas, le petit monde des hommes. Nous parcourons toutes les galeries de cette tour géante où les ouvriers ont construit – car ce sera long ! – des maisons villageoises. Et nous avons place parmi les moissonneurs qui se reposent au pied de l'arbre chargé de fruits : ici et là, on travaille encore dans tout ce jaune et ce roux du blé plus haut qu'un homme ; notre regard va délicieusement par les trouées et les chemins, jusqu'à l'horizon ; et la terre, à de telles heures d'agapes, et sous cet arbre, est bonne comme un paradis.

L'univers de Bruegel est non seulement celui du changement et de la mesure, mais celui de la sympathie et du bonheur d'être. C'est là le secret et la raison d'une telle vivacité de la couleur et de la présence de tant de choses rondes et qui font cercle, et se réjouissent, semble-t-il, de leur santé et de leur plénitude. Ce n'est pas le moindre génie de Bruegel que d'avoir, en même temps qu'il donnait à l'homme de nouvelles images éternelles de sa condition, fait de sa peinture cette alliance du cœur avec la vie.

— Claude-Henri ROCQUET

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<it>La Moisson</it>, Bruegel l'Ancien - crédits : AKG-images

La Moisson, Bruegel l'Ancien

<it>La Rentrée des troupeaux</it>, Bruegel l'Ancien - crédits : AKG-images

La Rentrée des troupeaux, Bruegel l'Ancien

Les Mendiants, Bruegel l'Ancien - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Les Mendiants, Bruegel l'Ancien

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