BRUEGEL PIETER II, dit BRUEGEL D'ENFER (1564-1638)
Fils aîné de Pieter I Bruegel (le plus grand et le plus connu des Bruegel), tôt fixé à Anvers, Bruegel d'Enfer se forme chez un certain Gillis van Coninxloo qui ne serait pas, selon Marlier, le paysagiste, mais un peintre homonyme étroitement apparenté à la famille de Pieter Coecke dont Pieter II était le petit-fils. Dès 1585, il est reçu maître ; dès 1588, il a des élèves et il en aura en grand nombre (dont son fils, Pieter III, et Frans Snyders) jusqu'en 1615 au moins, mais son atelier resta productif jusqu'à la fin puisqu'on connaît des tableaux de Pieter II datés de 1635 et de 1636 (les premiers étant de 1595 et de 1596). Il semble avoir été moins riche que son frère Jan, dit de Velours, dont les œuvres sont toujours estimées à un plus haut prix dans les documents anciens. Ce qu'on s'explique mal, c'est que les Enfers bruegéliens conservés soient toujours de Jan Bruegel de Velours (beaux exemples à l'Ambrosienne de Milan), alors que le sobriquet de Bruegel d'Enfer, contrairement à ce que croyait Hulin de Loo, est attesté du vivant même de Pieter II (par exemple dans un inventaire de tableaux en 1614) et s'applique bien à lui : force est de respecter une vieille tradition consacrée d'ailleurs par l'usage.
Ayant à peine cinq ans à la mort de son père, dont il n'a donc pu recevoir aucun enseignement artistique direct, Pieter II reste pourtant comme l'un des plus considérables vulgarisateurs de la « geste » bruegélienne et une grande partie de son œuvre réside dans la copie ou l'imitation du grand artiste que fut son père dont les œuvres, vite devenues introuvables en raison de leur petit nombre, furent l'objet d'une intense demande. Il reste inexplicable, ici encore, que les deux frères — Jan de Velours autant que Pieter II — aient fait de si nombreuses et si fidèles copies d'œuvres de leur père après en avoir reçu si peu dans leur succession et avec un intervalle de plus de vingt ans entre la mort de Pieter I et le début de la production peinte de Pieter II. Peut-être certaines étaient-elles faites d'après des calques pris sur des originaux. Ces copies par Pieter II d'œuvres de son père sont le plus souvent et explicitement signées et datées ; ainsi connaît-on au moins neuf Prédication de saint Jean-Baptiste signées — d'après l'original de Pieter I à Budapest — et quatorze non signées, treize exemplaires répétitifs du Dénombrement de Bethléem de Bruxelles, une vingtaine d'Adoration des Mages avec effet de neige (original dans la collection Reinhart à Winterthur)... Il va sans dire que bon nombre d'œuvres de Pieter II ont le grand intérêt de garder le souvenir exact d'œuvres perdues de Pieter I (la Visite à la ferme, le Berger fuyant le loup, Rixe de paysans, etc.). Mais il existe aussi chez Pieter II des inventions originales dans l'esprit du père : ainsi des Crucifiement dans de vastes paysages, des Kermesse de saint Georges, des paysages animés, des Paiement de la dîme aux faciès grimaçants.
La complication s'accroît cependant avec les œuvres bruegéliennes copiées d'après des satellites de Pieter I qui, autant que les fils Bruegel et souvent avant eux, concoururent à l'extraordinaire diffusion des thèmes bruegéliens, tels Pieter Balten et Marten van Cleve. À la tête d'un atelier des plus productifs et transmettant de la façon la plus efficace les thèmes chers à son père, Pieter II Bruegel reste avant tout un artiste plein de verve et de vitalité, délibérément archaïsant et à contre-courant, pratiquant une peinture de lecture facile et un peu naïve, vivement coloriée, de facture soignée, brillante et comme émaillée, mais non sans un savoureux charme rustique et satirique qui rentre pour beaucoup dans la notion si populaire et si répandue de réalisme flamand : par le biais de cette veine attardée[...]
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Écrit par
- Jacques FOUCART : conservateur des Musées nationaux, service d'études et de documentation, département des Peintures, musée du Louvre
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