PIÉTISME
Le développement du mouvement
Mouvance plutôt que mouvement structuré, le piétisme s'éparpilla dans des directions fort diverses. Cependant, jusqu'au milieu du xviiie siècle notamment, il rayonna à partir de l'université de Halle, fondée par l'Électeur de Brandebourg. La figure marquante fut, là, August Hermann Francke (1663-1727), personnalité aussi dynamique que Spener avait été réservé. Originaire de Lübeck et gagné, à partir de 1687, aux conceptions du piétisme qu'il accentuera parfois, il fut nommé en 1691 à Halle, où son enseignement rayonna sur toute l'université.
Francke exerça également le ministère pastoral dans un faubourg pauvre de Gaucha. Il fonda un certain nombre d'institutions de charité (Stiftungen) qui ne tardèrent pas à prospérer (une école, une imprimerie, un séminaire pour étudiants pauvres, un orphelinat, etc.), ainsi que le premier Institut biblique. Sous son influence, les milieux piétistes de Halle découvrirent l'importance des missions à une époque où le protestantisme officiel s'en désintéressait. Soutenue par le roi du Danemark Frédéric IV, l'université de Halle forma durant le xviiie siècle une centaine de missionnaires, dont la plupart se rendirent aux Indes et quelques autres en Laponie ou au Groenland.
La théologie de Halle insista fortement sur la nécessité d'une conversion acquise à travers une crise profonde. Pour être un enfant de Dieu, il fallait avoir connu une lutte intérieure comprenant une phase initiale de désespoir ; on ne sortait de ce désarroi que par une sorte de « percée » dont il fallait pouvoir publiquement rendre compte. Le refus du monde et de ses tentations était tenu pour le signe authentique du piétisme. Le christianisme devait se vivre dans l'action (œuvres, missions, etc.). La piété resta, la plupart du temps, très affective et sentimentale, liée à la félicité inexprimable ressentie pendant l'expérience de la conversion.
Le Wurtemberg est l'État où le piétisme obtint l'enracinement le plus populaire et où son influence sera le plus durable (animant, encore au xxe siècle, un esprit de résistance au national-socialisme). Son chef de file, Albert Bengel (1687-1751), bien que traditionaliste dans ses croyances, élabora des méthodes d'exégèse qui, par le recours à la grammaire et à l'histoire, annonçaient l'étude scientifique des textes bibliques. Alors que les dogmaticiens luthériens du xviie siècle (König, par exemple) s'acharnaient à prouver qu'Adam possédait une parfaite connaissance de la doctrine de la Trinité, Bengel et son école, à la suite de Cocceius, mais beaucoup plus nettement que lui, insistèrent sur l'aspect historique et progressif de la révélation.
Le piétisme a également marqué d'autres régions germanophones. En Alsace, il su maintenir des liens culturels avec l'Empire après le rattachement à la France. Cette province fut relativement protégée grâce au traité de Westphalie, mais – sans aller jusqu'aux persécutions comme dans le reste du pays – Louis XIV favorisa le catholicisme et prit certaines mesures discriminatoires envers le protestantisme. Le piétisme répondit alors au besoin de sécurité et d'édification du peuple. En Prusse, le piétisme favorisa l'individualisme et l'identité nationale. Il influença une fraction non négligeable des huguenots. Une branche dissidente du mouvement piétiste apparut avec la Société des frères de l'Unité, plus connus sous le nom de Frères moraves.
Le comte Nicolas Louis de Zinzendorf (1700-1760), filleul de Spener et ancien élève de l'école fondée par Francke à Halle, donna asile en 1722, sur ses terres de Berthelsdorf (Saxe) à un groupe de frères de l'Unité (descendants des hussites) persécutés. Ces derniers bâtirent le village de Herrnhut (« protection du Seigneur[...]
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Écrit par
- Jean BAUBÉROT : directeur d'études émérite du groupe Sociétés, religions, laïcités au C.N.R.S.
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