BAROJA PÍO (1872-1956)
Plus de cent volumes en un demi-siècle d'effort créateur : l'Espagne contemporaine n'a connu chez aucun autre romancier plus grande fécondité que chez cet écrivain basque de vocation tardive, doué pour toutes les variétés narratives, pour tous les registres. Réaliste, romantique, historique ou psychologique ? On épuiserait les catégories de la critique littéraire à vouloir définir son œuvre ; on ne classe pas Baroja : la vision de son univers se déploie – ou se ramasse – dans un roman d'aventures aussi naturellement que dans un reportage, un dialogue, une chronique. Le style lui-même échappe à la définition : Baroja n'y attache pas, semble-t-il, une importance décisive ; mais tout y exprime une sensibilité très vive, la complexité d'un regard qui passe de l'observation soutenue du médecin (Baroja en a exercé la profession) à l'interrogation de rêves inépuisables. Le ton est simple, les profils dépouillés, mais l'ironie, le sarcasme ou, parfois, une certaine brutalité ne parviennent pas à cacher l'émotion qui l'inspire. Baroja est tout nuances et demi-teintes, à l'image de son pays. Fuyant et subtil, humble et vaste : il écrit au-delà des modes, plein d'attention pour la société dans laquelle il vit – et qu'il refuse –, prêt à en saisir les faiblesses, les audaces, la grandeur, comme à peindre l'infinie variété de ses turpitudes ; en moraliste, au fond, qui explore volontiers l'histoire d'un passé récent pour analyser plus librement la société de son époque.
Le clan Baroja
Ce monde indéfiniment nuancé, Baroja, pourtant, le crée ou le découvre à partir d'un horizon personnel limité. Certes, il est sorti de son pays basque natal – malgré son séjour de treize mois dans la petite station balnéaire de Cestona où il exerça la médecine –, mais non pour autant de sa famille, qui devait rester pour lui la référence sociale et personnelle fondamentale.
La famille, une famille passionnée d'art et de lecture, a formé sa sensibilité. Son grand-père était imprimeur et éditeur, son oncle directeur de journaux ; son père oubliait son métier d'ingénieur pour composer de la musique – chansons basques ou opéras ; sa mère, enfin, doña Carmen Nessi, avait une nature très fine et très artiste.
La famille, en 1896, s'installa à Madrid. Pío, médecin sans conviction, montra toute l'importance qu'il accordait à sa thèse sur La Douleur, étude psychophysique en se faisant patron boulanger. Et c'est ainsi qu'il commença à écrire, distribuant contes et articles aux journaux de gauche de Madrid ou de Saint-Sébastien, tandis qu'en compagnie de son frère Ricardo, peintre et graveur, il s'initiait à la vie de la bohème littéraire du temps et se liait d'amitié avec Azorín, Maeztu et Valle Inclán.
À son retour de Paris, en 1899, il publia un recueil de contes, Vidas sombrías (La Vie des humbles) et La Maison Aizgorri, un roman basque sur le conflit entre la civilisation et le progrès. D'autres romans allaient suivre, publiés d'abord en feuilleton : Les Aventures de Sylvestre Paradox (1901), Le Chemin de perfection (1902), en même temps que le cercle familial s'épanouissait en un vrai cénacle que fréquentait une foule d'amis et de jeunes écrivains. La lecture des huit volumes des Mémoires, écrits et publiés entre 1941 et 1948, révélera de la façon la plus vivante le milieu et l'ambiance où s'est élaborée l'œuvre barojienne.
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- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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