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KOWALSKI PIOTR (1927-2004)

Le temps, matière de l'œuvre

Mais, ce qui va le plus compter pour Piotr Kowalski, c'est la transmission de l'information et le travail de cette dernière en temps réel. C'est le temps qui devient le matériau de l'œuvre dès les premiers projets de Time-Machine I conçue en France et en Suède vers 1970 et exposée à la galerie Ronald Feldman de New York (1979) : un magnétophone captait des sons en temps réel et les restituait à l'envers. Des poèmes lus par William Burroughs, des enregistrements de poètes et d'artistes furent ainsi traités, créant une vraie langue dadaïste. Au même moment, l'artiste mettait au point Miroir, qui renversait la perception de l'espace en restituant par rotation ultrarapide l'image de soi telle qu'un autre la perçoit, et non plus l'image inversée vue dans un miroir.

Mais ce sont les progrès de l'informatique qui vont lui permettre de réaliser, à partir de 1978, au Center for Advanced Visual Studies du M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology) Time Machine II, qui ajoute au traitement du son celui de l'image. Cette œuvre interactive permet au public de manipuler à sa guise en la retournant l'image venant de la caméra ou d'une télévision. Ainsi peut-il faire coexister, grâce à deux téléviseurs et à des systèmes sonores juxtaposés, le monde « à l'endroit » de l'image et le « monde à l'envers » de sa restitution renversée ultrarapide. Piotr Kowalski en tire un extraordinaire pouvoir comique quand il inverse les séquences du film Steamboat Bill Junior de Buster Keaton. La dimension poétique et philosophique de l'œuvre n'est pas sans évoquer dans le domaine littéraire L'Invention de Morel (1940) d'Adolfo Bioy Casares ou la nouvelle de Borges, Le Jardin aux chemins qui bifurquent (1941).

Kowalski constate que « l'art n'a jamais envisagé le temps comme une matière ». À la question : « Est-ce une sculpture ? », il peut répondre : « On voit le matériau, on voit les pixels, on voit la matière de l'information ; on ne doit pas être symbolique. » À la suite de Time Machine II, présentée en 1981-1982 lors de sa première grande exposition au Centre Georges-Pompidou, l'artiste a continué à explorer la question du temps et de l'information grâce à d'autres « outils d'art » mettant en jeu les nouvelles technologies. La Flèche du temps (1990-1992), installation vidéo-numérique comportant un mur de 18 écrans, permet au public de décomposer l'image animée, de mettre en mémoire les images, de les traiter, de les séparer en temps réel, de faire des zooms ou des arrêts sur image avant de revenir au point de départ. Le Cube de la population, dont le concept date de 1981 – le projet est alors présenté par des dessins à Beaubourg – mais qui ne fut réalisé qu'en 1992 à la Kunst- und Austellungshalle de Bonn, est un immense cube qui contient un nombre constamment réactualisé de billes de verre d'un diamètre inférieur au millimètre, qui correspond au chiffre de la population mondiale. Éclairées d'un laser bleu, les billes entrent par le haut du cube avec un son aigu selon le flux des naissances calculé par les ordinateurs des organisations mondiales et répercuté vers la machine. Un flot d'autres billes qui marquent la mortalité s'écoulent avec un son grave. Cette véritable horloge où s'affiche le nombre constamment changeant de la population mondiale, bien plus significative que tous les comptes à rebours qui furent installés dans l'attente de l'an 2000, est faite pour s'arrêter, saturée, à 10 milliards – nous avons atteint 6 milliards en octobre 1999 –, ce qui correspond selon Kowalski à un maximum viable. Avec cette œuvre, l'« outil d'art » est l'incarnation belle et forte d'un problème complexe, la manifestation tangible de l'abstraction des grands nombres. Œuvre dérangeante, longtemps[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-X-Nanterre

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