PLAGIAT
Plagiat et contrefaçon
Le plagiat a longtemps bénéficié de l’indifférence des juges. Une longue tradition répugnait à attribuer aux créations intellectuelles une valeur économique. En outre, les juristes ont éprouvé une grande difficulté à concevoir une propriété relative à une œuvre immatérielle. La terminologie juridique a longtemps hésité avant de se fixer, entre plagiat et contrefaçon. Jusqu’à la loi de 1957 sur le droit d’auteur, certains jugements portent la marque de cette confusion entre les deux termes en utilisant indifféremment l’un pour l’autre. Depuis lors, le plagiat n’a toujours pas d’existence juridique ; il demeure un terme propre à la critique littéraire et artistique. Au contraire, la contrefaçon, selon le Code de la propriété intellectuelle, se caractérise par la violation du droit de reproduction ou de représentation. Elle est la version condamnable, au sens juridique du terme, du plagiat : un emprunt prend le nom de contrefaçon dès lors qu’il atteint le degré de gravité propre au délit. C’est précisément ce degré que le juge se doit d’évaluer, en recherchant dans l’œuvre ce qui est protégé par le droit d’auteur, à savoir l’originalité.
« Ce qui est original, c’est le résultat d’une création de l’esprit, portant “l'empreinte de la personnalité” de son auteur », précise Pierre-Yves Gautier dans Propriété littéraire et artistique. Or, comment identifier « l’empreinte de la personnalité » d’un auteur ? La doctrine n’a pas manqué de souligner le caractère subjectif d’une telle appréciation. De fait, la question de la contrefaçon se retrouve au cœur du jugement esthétique et de la critique littéraire. Fondamentalement, la loi distingue la forme et le fond de l’œuvre ; à ce titre, elle exclut les idées du champ de la protection. Seules la composition, qui consiste en l’organisation des idées, et l’expression, à savoir la concrétisation d’une idée dans une forme originale, font l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur. En pratique, on se rend compte qu’il est souvent bien difficile de reconnaître la frontière entre l’idée, non protégeable, et sa mise en forme, qui l’est. Un exemple emprunté aux beaux-arts permet d’illustrer ce principe : l’« affaire Christo ». Plusieurs décisions de justice ont reconnu que l’emballage du Pont-Neuf à Paris par Christo, en 1985, constituait une œuvre originale, et donc susceptible d’être protégée ; en revanche, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que cet artiste ne pouvait, au nom du droit d’auteur, détenir un monopole sur les « emballages artistiques » et interdire à une agence de publicité d’éditer des affiches représentants des objets divers emballés « à sa façon ». Le concept d’emballage d’un monument ou d’un objet se trouvait en effet matérialisé dans d’autres formes qui pouvaient à leur tour mériter protection. La difficulté pour les juges consiste à assurer la protection du travail accompli par les créateurs, sans pour autant entraver la liberté de création et la possibilité de s’inspirer des œuvres des prédécesseurs.
L’équilibre reste fragile entre protection et liberté, originalité et reprise, réemploi ou réécriture, comme l’a encore prouvé l’affaire de la suite des Misérables. Fallait-il interdire la Cosette de François Cérésa (2001) à la demande des ayants droit de Victor Hugo qui considéraient que la reprise des personnages des Misérables constituait une atteinte au respect de l’œuvre de leur ancêtre ? Si le roman de Victor Hugo ne pouvait en effet être protégé au titre du droit patrimonial qui s’éteint soixante-dix ans après la mort de l’auteur, en revanche, le droit moral, inaliénable et imprescriptible, pouvait être invoqué pour interdire une réécriture, sous la forme d’une suite, des Misérables[...]
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Écrit par
- Hélène MAUREL-INDART : professeure de littérature française à l'université de Tours
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Média
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