PLAIN-CHANT
Esthétique et caractères musicaux
On donne habituellement à l'originalité du chant grégorien les caractères suivants : le diatonisme, de modalité antique, sans chromatisme véritable, ni sensible (émotivité moindre) ; l'indivisibilité du temps premier (rythmique calme) ; une métrique libre qu'on appelle à tort « rythme libre », dans la succession binaire ou ternaire (il y a quelques théories « mensuralistes » dont les interprétations sont assez divergentes) ; l'importance de l'accentuation latine ; une certaine indépendance de la rythmique vis-à-vis de l'intensité (contrairement aux habitudes de la musique occidentale, dans laquelle la métrique est liée à l'existence de temps forts et de temps faibles) ; l'importance relative de la mélodie et du texte montre, en une première vision, trois styles : le syllabique, le semi-orné et le mélismatique (très fleuri) ; le répertoire se classe en huit modes. Ces énoncés des grammaires usuelles sont une description extérieure du plain-chant, mais ne rendent compte ni de la composition, ni de l'histoire. En fait, cette musique, issue d'une méditation biblique, s'appuie d'abord sur une lecture rythmée. La monodie grégorienne est vraiment issue de la technique du récitatif des siècles précédents ; le mot latin, en partant de son propre rythme, dans le respect et l'utilisation de la relation accent-finale, fleurit en musique. L'instinct verbal fait chanter l'accent du mot et poser sa finale sur une corde mère de la modalité future. Puis l'usage de trois cordes récitatives amène la naissance des ornements, des formules, les extensions de l'échelle au grave et à l'aigu, le développement de la neumatique, les formes diverses, enfin l'achèvement dans des « types modaux ». Un type modal grégorien est un ensemble de haute rythmique, où sont utilisés, soit simultanément, soit un par un, en liberté organisée, les procédés suivants : la présence d'une ou de plusieurs cordes compositionnelles, d'esthétique définie, de dynamique propre ; la présence de formules (intonation, médianes, finales) soit propres à ce type, soit plus générales, mais lui convenant ; des procédés spécifiques d'expression (par exemple : usage de l'ut aigu en 1er mode, cadence inversée du 4e mode, esthétique particulière des strophae sur ut en 3e mode...) ; le primat apparent des développements musicaux sur la rythmique verbale.
Ainsi, l'artiste grégorien combine, en une sorte de contrepoint libre, la mélodie native du mot et les formes modales de son temps. Le respect des acteurs, des divers moments de l'action sacrée et de l'esprit du temps liturgique crée des exigences lyriques différentes ; un vocabulaire, des formes musicales, et donc, peu à peu, des répertoires spécialisés (le propre, l'ordinaire, les chants du célébrant, des mélodies types, des mélodies-centons...) se créent selon le rythme de croissance de l'intelligence liturgique et de l'esthétique pastorale de l'expression.
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Écrit par
- Jean JEANNETEAU : vice-recteur honoraire de l'université catholique de l'Ouest, directeur du Centre de recherche de musique médiévale et de rythmographie
- Pierre-Paul LACAS : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien
Classification
Médias
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