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PLATFORM (Jia Zhang-ke)

Le premier film de Jia Zhang-ke (Xiao Wu, artisan pickpocket), réalisé en 1997 et sorti en France à la fin de l'année 1999, avait contribué à révéler une nouvelle vague de metteurs en scène chinois, soucieux d'enregistrer la réalité contemporaine de leur pays en adoptant des partis pris formels aux antipodes de l'esthétique parfois grandiloquente des cinéastes de la « cinquième génération » (Zhang Ymou, Chen Kaige). Sorte d'héritier du néo-réalisme italien, Jia Zhang-ke ne s'est pas contenté de confirmer en 2001 les espoirs suscités par son premier film. Avec ses compatriotes Jiang Wen et Wang Xiaoshuai, auteurs l'an passé des très beaux Démons à ma porte et Beijing Bicycle, le réalisateur démontrait que le renouveau du cinéma chinois n'est nullement une vue de l'esprit.

Récit à la fois historique et intimiste couvrant la période 1979-1990, Platform est une œuvre majeure qui s'inscrit dans un genre où ont excellé, ces trois dernières décennies, le Grec Théo Angelopoulos avec Le Voyage des comédiens et le Taiwanais Hou Hsiao-hsien avec La Cité des douleurs. À l'instar de ses deux aînés, Jia Zhang-ke échappe aux pièges du didactisme et enregistre les bouleversements socio-politiques de son pays en évoquant le destin de quelques personnages ordinaires.

De même que pour Xiao Wu, artisan pickpocket, le cinéaste situe l'action de son film dans un petit village de la province de Shanxi, Fenyang, village dont il est lui-même originaire. L'hiver 1979 constitue la première étape du récit. Minliang (Wang Hong-wei) et ses amis conjurent l'ennui dans les salles de cinéma, ou bien en écoutant les radios de Taiwan, plus enivrantes que les ondes nationales qui ne connaissent qu'un seul et unique refrain : celui de l'effort révolutionnaire. La plupart de ces adolescents jouent dans une troupe de musiciens et de danseurs, évidemment subventionnée par l'État, vouée à interpréter des pièces ou saynètes faisant l'apologie des grandes causes patriotiques.

La réalisation de Jia Zhang-ke ne s'attarde que brièvement sur le contenu et l'agencement formel des représentations scéniques. Le cinéaste préfère fixer des détails apparemment anodins : un des personnages souhaite porter un pantalon à la mode occidentale, un autre adopte une coupe de cheveux atypique. Des idylles se nouent, puis se dénouent. Tous assistent à des réunions idéologiques dirigées par le responsable de la troupe. Tous semblent indifférents. Les parents s'inquiètent, par habitude plus que par idéologie, des comportements individualistes de leurs progénitures. Pendant ce temps, des haut-parleurs diffusent dans le village des messages politiques auxquels personne ne semble prêter attention.

La frustration sentimentale et sexuelle, l'embrigadement, le désir de fuir Fenyang, l'aspiration à la liberté... Le cinéaste observe les ambivalences psychologiques de ses protagonistes – et, à travers elles, les contradictions de son pays – sans quitter le cadre trivial du quotidien. Platform en dit long sur un certain « état des choses » de la Chine moderne en ne montrant rien ou presque des événements considérables mentionnés dans les livres d'histoire. Point d'héroïsation ici, mais une volonté de filmer au plus près le microcosme humain de Fenyang pour donner à voir la situation complexe d'un pays ballotté par les modifications économiques, sociales et culturelles. Le décalage entre les mots d'ordre idéologiques et la réalité est bien sûr permanent. Ainsi dans cette scène, une des plus belles du film, où une des héroïnes se rend dans un hôpital pour subir ce que l'on devine être un avortement alors que, à l'extérieur, les haut-parleurs évoquent un défilé militaire en l'honneur de Deng Xiaoping.

Les deux autres étapes du film coïncident[...]

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