PLATON (env. 428-env. 347 av. J.-C.)
On a pu écrire que toute l'histoire de la philosophie se résumait à une série de notes en bas de page apposées à l'œuvre de Platon. Si pour certains il a déjà toutdit − l'être travaillé par le négatif et par la différence, la pensée transcendantale et les concepts a priori, la sublimation de l'énergie érotique, la grammaire des propositions −, d'autres réduisent sa pensée à quelques thèses aisément critiquables : le réalisme des Idées, le dualisme de l'âme et du corps, la contemplation d'un principe ineffable. Cela tient sans doute à la nature énigmatique d'un philosophe qui ne parle jamais en son nom et d'une philosophie qui ne s'exploite jamais, repart toujours à nouveaux frais, place la dialectique au sommet des sciences mais fait constamment appel à des images, des mythes et des métaphores. Et, dans le champ de bataille où s'affrontent des philosophes que Kant n'a pas réussi à pacifier, il apparaît que combattre Platon, c'est presque toujours le jouer contre lui-même. Tous n'avouent pas comme Nietzsche que son sang coule encore dans leurs veines, mais le même Heidegger qui invite Sartre à philosopher avec lui « loin par-delà tout platonisme » fait figurer une phrase du Sophiste en exergue à Être et Temps, et c'est sur ce dialogue que conclut L'Être et le Néant. Platon risque ainsi de succomber sous la diversité des platonismes qu'il n'a pas faits mais qu'ont forgés ses défenseurs et ses interprètes tout autant que ses adversaires. Le plus frappant est qu'il a toujours été un enjeu, à l'intérieur de la philosophie mais aussi hors d'elle, lors de querelles qui, de l'Antiquité chrétienne au Moyen Âge, opposèrent les théologiens partisans d'Aristote à ceux qui s'inspiraient du néoplatonisme, puis (aux xviie et xviiie siècles) les trinitaires aux antitrinitaires, ou encore lors de celle, littéraire, qui divisa les Anciens et les Modernes. L'enjeu, c'est la philosophie elle-même, la conception qu'on s'en fait, l'amour ou la haine qu'elle suscite, et c'est à elle qu'on identifie ce Platon qu'il faut continuer, renverser ou dépasser. À ce titre, le mot de son plus grand critique, Aristote, vaut encore : « Il n'est pas permis au méchant même de le louer. »
La vie de Platon
Les témoignages
De cette vie nous connaissons d'abord ce que rapporte la Lettre VII ; son authenticité compte à ce jour plus de partisans que d'adversaires. Platon, dans sa soixante-quinzième année, y explique les raisons qui l'ont, entre vingt et quarante ans, fait devenir ce qu'il est, puis raconte ses trois voyages successifs à la cour des tyrans de Syracuse. Pour compléter ce morceau d'« autobiographie », nous disposons, outre quelques indications fournies par Aristote, Cicéron, Plutarque et d'autres, d'une vie de Platon rédigée par Apulée (iie s. av. J.-C.), d'une autre vie, bien plus tardive, due à Olympiodore (vie s. apr. J.-C.), mais surtout du livre III des Vies et opinions des philosophes illustres de Diogène Laërce (iiie s. apr. J.-C.), accumulant sans grand discernement des anecdotes contradictoires et invraisemblables, mais s'inspirant de sources anciennes aujourd'hui perdues. Au caractère lacunaire, tendancieux ou romancé de ces documents s'ajoute le fait qu'aucun témoignage ancien ne nous renseigne sur la chronologie des dialogues.
Les événements
Platon serait né en 428-427 avant J.-C. (ou peut-être en 429, année de la mort de Périclès), donc dans les premières années de la guerre du Péloponnèse, à Athènes, à moins que ce ne soit à Égine, et serait mort en 348-347, à plus de quatre-vingts ans, alors que la guerre entreprise par Philippe de Macédoine contre les cités grecques avait déjà commencé. Fixer[...]
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Écrit par
- Monique DIXSAUT : professeur à l'université de Paris-I
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