PLÉIADE
Une poétique commune
Si hétérogène que soit ce groupe d'une quinzaine de personnes, il n'en garde pas moins une certaine unité. Elle est due à l'adhésion, tantôt explicite tantôt implicite, à un projet commun que Peletier du Mans, Du Bellay, Pontus de Tyard et Ronsard ont essayé de définir.
Le premier article de foi réside en la croyance qu'une nouvelle littérature française est possible : très différente de l'ancienne, elle ferait revivre en français le ton et les genres littéraires de l'Antiquité, auxquels on ajouterait le sonnet à qui Pétrarque, père commun de tous les humanistes, avait conféré un cachet de classicisme. Ce culte inconditionnel de formes littéraires mortes depuis longtemps, joint à l'excommunication du passé culturel français, n'a pas été sans résistance, et aujourd'hui encore il n'est pas interprété comme il le devrait. On a trop perdu contact avec les penseurs de la Renaissance pour garder présent à l'esprit leur postulat touchant à l'éternité des formes qui, pour des esprits imprégnés de néoplatonisme italien, ne faisait pas de doute. Bembo, l'un des Italiens les plus admirés par Ronsard, précisait cette croyance dans une lettre adressée à Pic de la Mirandole : « De même qu'il y a en Dieu une certaine forme divine de la justice, de la tempérance et des autres vertus, il s'y trouve aussi une certaine forme divine du style accompli, un modèle absolument parfait qu'avaient en vue, autant qu'ils le pouvaient par la pensée, Xénophon, Démosthène, Platon surtout et Cicéron quand ils composaient les uns et les autres. À cette image conçue dans leur esprit ils rapportaient leur génie et leur style. J'estime que nous devons faire comme eux : tâcher de nous rapprocher de notre mieux et le plus près possible de cette image de la Beauté. » Nous voilà bien loin de l'interprétation scolaire de la théorie de l' imitation. Imiter les Anciens, pour les hommes de la Pléiade, ne consiste pas à les répéter, mais à s'appuyer sur eux pour retrouver des formes éternelles qu'ils avaient été les premiers à entrevoir.
Second article du projet : la création d'une langue poétique spécifique, aussi différente de la langue parlée courante que le latin humaniste pouvait l'être de celui des hommes d'Église et des juristes. Là encore il faut se reporter aux présupposés humanistes sur le langage pour comprendre cette position. Pour Budé comme pour Valla, la pensée n'existe pas en dehors du langage. En conséquence, aucune pensée correcte ne peut se faire jour à travers une langue infirme et polluée. Pour eux, un philosophe ne peut véritablement penser avec ces instruments dégradés que sont les langues populaires : il lui faut un latin raffiné, nettoyé de ses impuretés, et qui permette de continuer le travail de Cicéron qui voulait enrichir sa langue en transvasant dans le latin l'essentiel du génie de la langue grecque.
Pour un poète, le problème se pose de façon différente, mais les présupposés demeurent les mêmes. Puisque les poètes contemporains ne parviendront pas à égaler les Anciens dans leurs langues, autant faire comme les Italiens Dante et Pétrarque, c'est-à-dire créer une langue poétique française à l'écart des « mots de la tribu », et capable de médiatiser l'inspiration poétique. Un tel travail ne se fera pas en un jour. Car la découverte des « formes éternelles » à travers les textes anciens représente le travail d'une vie et, précise Du Bellay dans La Deffence, d'une vie d'ascète : « Qui veut voler par les mains et bouches des hommes doit longuement demeurer en sa chambre, et qui désire vivre en la mémoire de la postérité doit comme mort en soi-même suer et trembler mainte-fois, et autant que nos poëtes courtisans boivent, mangent et dorment[...]
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Écrit par
- Gilbert GADOFFRE : ancien professeur à l'université de Berkeley, professeur émérite à l'université de Manchester, fondateur de l'Institut collégial européen
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