PLÉIADE
Une nouvelle idée de la littérature
Avec la Pléiade, un nouveau type de littérature est né, une littérature de lettrés sans contact avec le peuple et ne désirant que rester entre eux, quitte à élargir leur public par la communication du savoir et des lumières. Car, dès ce moment, la métaphore des lumières est utilisée, en opposition avec les ténèbres de l'ignorance. Il ne peut plus s'agir de s'abaisser au niveau du public, mais de hausser le public jusqu'à soi. La Pléiade va donc donner le premier exemple d'une littérature d'avant-garde. Là encore, on retrouve l'image chez Ronsard, dans sa Préface de 1560 qui parle de « s'acheminer par un sentier inconnu », et surtout chez Baïf, dans son Épître à Charles IX qui évoque le « nouveau sentier », le « passage inconnu » que les jeunes explorateurs ont ouvert à travers un paysage de friches, « tout de halliers et de buissons couvert ».
Comme la plupart des avant-gardes qui lui succéderont au cours des siècles suivants, la Pléiade ne sera pas suivie par une grande armée. Si l'on veut s'en tenir aux métaphores militaires, celle de patrouille de reconnaissance serait moins infidèle. Encore ne faut-il pas sous-estimer les efforts des hommes de la Pléiade pour hausser jusqu'à leur niveau un plus large auditoire. Le supplément musical de 1552 avait déjà fait des Amours de Ronsard un chansonnier, comme l'avait été, vingt ans plus tôt, l'Adolescence clémentine de Marot ; et la réédition de 1553 est augmentée d'un commentaire de Muret qui élucide les difficultés de lecture, les allusions mythologiques, les références italiennes. Pour le moindre gentilhomme sans lettres, sachant tout juste lire et écrire, Muret faisait ainsi de la lecture des Amours une initiation sans larmes à l'univers mental de la culture nouvelle. Pontus de Tyard, de son côté, faisait œuvre de vulgarisateur philosophique et scientifique dans ses Solitaires (1552 et 1555), ses Curieux et L'Univers, ou Discours des parties et de la nature du monde (1557).
Ajoutons qu'à partir du moment où le complot d' Amboise (1560) met au grand jour la transformation du parti huguenot en armée clandestine encadrée par des princes de sang candidats au pouvoir, l'union sacrée contre l'ennemi commun se réalise entre gallicans et ultramontains jusqu'alors adversaires. C'est Ronsard, assisté par le Lyonnais Guillaume des Autels, qui prendra en main les relations publiques de la nouvelle coalition. Il va devenir le porte-parole du pouvoir aux prises avec la guerre civile tandis que Baïf, comme l'a montré Frances Yates, s'efforce de faire de son Académie de musique et de poésie une école de cadres de jeunes nobles. Il faudra l'action conjuguée du Parlement et de l'Université pour saborder l'entreprise, en dépit du soutien royal.
Plus on suit de près la courbe de carrière des complices de Ronsard, plus s'efface le stéréotype de la Pléiade-tour d'ivoire. Les métaphores d'exploration, de guerre, de conquête que ces poètes affectionnaient pour exprimer leur action traduisent une réalité d'autant plus importante qu'elle n'est pas immédiatement perceptible. Ces intellectuels remuants à l'affût de la gloire et de l'influence, et pas seulement de prébendes, qui ont joué des rôles et laissé des traces, annoncent une phénomène qui marquera désormais la vie française : la présence d'un pouvoir intellectuel.
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Écrit par
- Gilbert GADOFFRE : ancien professeur à l'université de Berkeley, professeur émérite à l'université de Manchester, fondateur de l'Institut collégial européen
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