PLEINS POUVOIRS
Quand une assemblée législative accorde à un gouvernement les pleins pouvoirs, cela signifie qu'elle lui permet, au cours d'une période donnée, de prendre les mesures exigées par les circonstances, dans un domaine bien défini. Juridiquement, la notion de pleins pouvoirs a le même contenu que celle de délégation du pouvoir législatif. Mais elle en diffère sur le plan politique en ce que l'usage a peu à peu réservé l'expression « pleins pouvoirs » aux délégations consenties pour une longue période et portant sur un objet mal précisé. Ainsi parlera-t-on de décrets-lois pour évoquer la possibilité reconnue au gouvernement français, dès 1814, de modifier par décret la tarification douanière, mais bien de « pleins pouvoirs » pour qualifier le droit reconnu à Poincaré en 1924 d'utiliser le même procédé afin de réaliser des économies administratives ou celui, reconnu plus tard à un autre président du Conseil, d'« assurer la défense du franc » sans recourir, pour chaque mesure, au vote des Assemblées. Il est permis d'observer, dès lors, que la notion de pleins pouvoirs implique une relative imprécision de l'objet de la délégation accordée par le Parlement. La plupart des gouvernements de la fin de la IIIe République et presque tous les gouvernements de la IVe ont demandé — et obtenu — les pleins pouvoirs en vue de mener à bien tel ou tel aspect de leur politique. C'est par une loi de pleins pouvoirs, celle accordée, le 10 juillet 1940, au maréchal Pétain, que se termine juridiquement la IIIe République : c'est également par une loi de pleins pouvoirs, celle qui fut consentie, le 3 juin 1958, au gouvernement du général de Gaulle, que commence le processus juridique qui mènera à l'établissement de la Ve République.
La Constitution de 1958 a expressément prévu, à l'article 38, que « le gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Mais, en réalité, il s'agit seulement d'une application classique de la théorie des pleins pouvoirs. Il est à noter que, sous la Ve République, une nouvelle forme de pleins pouvoirs est apparue, puisque l'article 16 de la Constitution permet au chef de l'État, dans un certain nombre d'hypothèses, de « prendre les mesures exigées par les circonstances ». De plus, les référendums du 8 janvier 1961 et du 8 avril 1962, décidés sur le fondement de l'article 11 de la Constitution, avaient accordé des pouvoirs exceptionnels au gouvernement et au président de la République, afin de favoriser le règlement du conflit algérien. Cette possibilité offerte par la Constitution d'accorder les pleins pouvoirs à l'exécutif par voie référendaire comporte sans aucun doute le risque d'une dérive autoritaire du régime.
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Écrit par
- Daniel AMSON : maître assistant à l'université de Paris-I
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