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PLOTIN (205-270)

La philosophie de l'Un

Certes subsiste l'issue d'un « premier Un », parfaitement simple, situé, comme le Bien de Platon, « au-delà de l'essence et de l'être » (Rép., 509 b). Mais ce principe lui-même ne peut être ni solitaire ni infécond ; « puissance de tout », comment serait-il « le plus parfait » s'il demeurait « en lui-même » ? (V, iv, 1). Posé d'abord comme ce qui n'est fondement des êtres qu'à condition de « n'être pas compté avec eux », il est aussi le centre omniprésent autour duquel, puisqu'il faut bien parler par symboles, Plotin décrit (dans un de ses plus anciens traités, mais que Porphyre a retenu comme conclusion des Ennéades) les âmes délivrées comme formant une sorte de ronde sacrée (VI, ix, 11). Et, tout d'abord, il est le foyer même de tout rayonnement. On ne l'atteint, de loin, que par des analogies, des négations, des connaissances fondées sur ce qui dérive de lui, mais mieux encore par une série de purifications (VI, vii, 36). Ici la causalité de l'Un n'est pas simple attraction comme celle du premier moteur aristotélicien ; pour la décrire, il faut à la fois critiquer ceux qui, par un « téméraire » discours, nient toute « liberté » divine ou la conçoivent comme le « chaos » des poètes, « surgissant d'un abîme » (VI, viii, 11), et ceux qui ne voient en lui que pure nécessité, comme si son acte et ce qui, en lui, est « une sorte de vie » étaient les simples attributs de « ce qui est en lui une sorte d'essence » (VI, viii, 7). On traduit ici par « une sorte de » le petit mot hoion qui trahit l'embarras de qui prétend dire l'« indicible ».

Encore qu'il préfère les images lumineuses au thème de la nuée ténébreuse (qui prendra plus de place chez le Pseudo-Denys), Plotin corrige toujours les « analogies » par des formules « apophatiques ». Si l'Un ressemble à une fontaine qui surabonde (V, ii, 1), à un feu qui répand sa chaleur (V, iv, 2), mais aussi à un « nombre intelligible », tout entier « en soi et pour soi » et qui engendre néanmoins l'indéfinité d'une série arithmétique (VI, viii, 17), ou au centre invisible et indivisible d'une circonférence dont les rayons transportent la paternelle puissance jusqu'aux plus lointaines extrémités (VI, viii, 18), s'il est en même temps (dans un langage qui ne peut éviter la téléologie) « ce qui se doit » et l'« opportun » (déon et kairon, termes du Politique de Platon, 284 d, repris en VI, viii, 18), ces symbolisations, qui mêlent l' immanence à la transcendance, ces évocations d'une « bonté providentielle » se heurtent au paradoxe fondamental d'un Étant qui n'est rien, d'un Donateur qui jamais ne se dissipe (VI, v, 9). Point ne suffit de recourir à des préfixes superlatifs (que Proclus et Denys multiplieront bien davantage), mieux vaut accumuler (comme font les Védantins) les négations connexes. Celui qu'on nomme « Un », « parce qu'il nous faut le signifier entre nous afin de conduire nos âmes à une intuition indivisible et parce que nous voulons nous unir à lui » (VI, ix, 5), est au-delà de toute dénomination et de toute attribution (V, v, 13). Tout ensemble partout et nulle part, il n'est proprement ni mesure ni démesure, ni repos ni mouvement, ni mélangé à rien ni absent de rien (VI, v, 10-11 ; VI, vii, 32-34).

Pour le « voir » dans sa « pureté sans mélange », et non pas seulement dans ses « traces » (V, v, 10), il ne reste que l'expérience qu'on appelle « mystique ». Mot équivoque pourtant, que Plotin réserve en général à ce qui se révèle dans des « mystères », au niveau d'une assez pauvre imagerie ; le « vrai sanctuaire » pour lui est « invisible » et la seule authentique religion est celle que traduit le mot[...]

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