PLUPART DU TEMPS, Pierre Reverdy Fiche de lecture
Lorsque Pierre Reverdy (1889-1960) réunit en 1945 aux éditions Gallimard un ensemble de ses poèmes parus entre 1915 et 1922, après les avoir un à un relus, corrigés et définitivement établis – selon la terminologie d'usage qui prend ici un sens plus précis et presque testamentaire –, il les fait précéder d'un prière d'insérer : « De ma vie, je n'aurai jamais rien su faire de particulièrement remarquable pour la gagner, ni pour la perdre. Voici un témoignage partiel du genre d'activité qui a absorbé la plupart de mon temps. Qu'il n'y ait pas lieu d'en être exagérément fier, on n'aura pas besoin de me le dire. Nul doute qu'il y ait eu infiniment mieux à faire. » Ainsi, sous le titre Plupart du temps, paraît au sortir de la guerre une véritable anthologie d'anthologies, qui s'ouvre sur des poèmes en prose et se clôt significativement sur La Langue sèche, dernier des poèmes de Cravates de chanvre, et ces vers : « la terre se dessèche/ tout est nu tout est blanc// Avec le seul mouvement déréglé de l'horloge/ le bruit du train passé/ j'attends ».
Un maître-livre
C'est au sortir de la Première Guerre mondiale que le directeur de la revue Nord-Sud (1917-1918), le poète des Ardoises du toit, du Jockey camouflé (1918), de La Guitare endormie (1919) et des Cravates de chanvre (1922), est salué comme un initiateur par toute une génération au seuil du surréalisme. L'équipe de Littérature – Breton, Soupault, Aragon – ne voit-elle pas en lui « le plus grand poète actuellement vivant » ? En publiant des textes dans lesquels il ne se reconnaît que pour une part, en les soumettant à un remaniement ultérieur, Reverdy donne quitus à ce passé en l'ouvrant à un avenir d'un ordre tout différent. L'attente d'une nouvelle génération, la reconnaissance d'un univers poétique en mutation, accompagnent donc cette reprise. Maurice Saillet rappelle, dans la réédition posthume chez Flammarion de 1967, que cette « édition définitive » devait initialement constituer le tome premier de ses œuvres complètes.
Entre 1945 et 1967, c'est donc une autre lecture de Reverdy qui transforme, à partir de ce recueil anthologique, le regard que l'on porte à la fois sur le poète et sur ses réflexions fondatrices, quant à l'image, l'art ou le statut de la perception dans le langage poétique. À la mort du poète en 1960 succèdent ainsi deux hommages en deux ans qui marquent ce regroupement autour d'une œuvre isolée et exigeante : le Mercure de France joint, dans le souvenir du cubisme, d'Apollinaire et de Max Jacob, les noms de René Bertelé, Brassaï, Leiris, Jabès, Dupin, du Bouchet ou Paul Valet à ceux de Neruda, Octavio Paz ou Kateb Yacine ; Luc Decaunes, de son côté, rassemble aux éditions Subervie Jacques Maritain et Tzara, Albert-Birot et Luc Bérimont, Chaulot et Follain. Tout un paysage poétique de la modernité salue comme un maître-livre du présent ce recueil d'outre-guerre.
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Écrit par
- Pierre VILAR : maître de conférences à l'université de Pau et des pays de l'Adour, faculté de Bayonne
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