PLUPART DU TEMPS, Pierre Reverdy Fiche de lecture
Une poésie optique
C'est une sorte de « piège immobile », selon la formule d'Hubert Juin, que dispose pour le lecteur chaque poème de Plupart du temps ; l'essayiste compare, dans sa préface à l'édition de poche, leur temporalité suspendue au « moment où la flèche est immobile au centre de l'arc bandé ». De fait, l'énoncé poétique s'articule à une déception fondamentale, renvoyant dos-à-dos le réel et la langue, sans que l'un puisse se targuer d'avoir en poésie plus d'emprise que l'autre ; selon une formule restée célèbre, « la poésie n'est pas plus dans les mots que dans le coucher du soleil ou l'épanouissement splendide de l'aurore ». Les critiques (Jean-Pierre Richard en particulier) ont souligné combien, dans Plupart du temps, les motifs du mur résistant mais offert et de l'horizon inaccessible, l'expérience de la clôture et celle de l'au-delà, s'articulent dans une gamme inépuisable de surfaces intermédiaires réfléchissantes, cassantes ou translucides : bois, fumées, fenêtres, glaces brisées sous les ardoises d'un toit, givre sur du bois mort, « vide épais » des Jockeys mécaniques, lampe souvent rallumée entre la neige et l'ornière dans les poèmes de Cœur de chêne. « On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux », dit un bref fragment de La Lucarne ovale. La dimension optique, omniprésente, construit pour le lecteur une forme de contrepoint aux mouvements rythmiques de la scansion, qui alterne indifféremment prose et vers, ruptures savantes de l'étonnant Glaçon dans l'air en perpétuel décrochage typographique ou calligrammes des Ardoises du toit, et compacité inaugurale du souvenir aux premiers mots de La Lucarne ovale :
En ce temps-là le charbonétait devenu aussi précieuxet rare que des pépites d'oret j'écrivais dans un grenieroù la neige, en tombantpar les fentes du toit, devenaitbleue.
Avec Plupart du temps, c'est donc une histoire de la poésie française du siècle qui transparaît, tout à fait paradoxalement : Reverdy n'a pas été autre chose que le précurseur attentif, ou l'accompagnateur curieux des écoles esthétiques de l'avant-guerre, et il s'est tenu à l'endroit du cubisme comme du surréalisme dans une distance nécessaire à sa solitude fondamentale, et au caractère déceptif de sa vocation poétique. Oublié par certains lecteurs, longtemps méconnu par les critiques, aujourd'hui encore mésestimé, il représente pourtant une exigence et une sobriété somme toute exemplaires, où des poètes contemporains, issus des horizons les plus divers, n'ont pas manqué de se reconnaître.
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Écrit par
- Pierre VILAR : maître de conférences à l'université de Pau et des pays de l'Adour, faculté de Bayonne
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