PLURILINGUISME
Psychologie du langage
La recherche dans le domaine des conduites humaines subit de profondes transformations dues particulièrement à l'impact de l'ethnologie et à celui de la psychanalyse. Peu sensibles encore dans les études du plurilinguisme, celles-ci restent largement le champ d'une expérimentation aux résultats fragiles, difficiles voire impossibles à généraliser. Les débuts du langage chez l'enfant, les modèles du fonctionnement psychique et les processus de la cohésion sociale définissent le champ des questions principales que l'on peut poser aujourd'hui.
Acquisition du langage et apprentissage des langues
Il est généralement admis aujourd'hui que la manière dont un enfant apprend à parler dans une situation linguistique complexe ne diffère pas fondamentalement de celle qui se réalise dans une situation unilingue, en particulier en termes quantitatifs de comparaison (courbes d'acquisition du vocabulaire, acquisition des schèmes syntaxiques, etc.). D'un point de vue qualitatif, on est conduit à pondérer la notion de complexité : tout réseau langagier est complexe par les variétés, les registres, l'ensemble des nuances que la socialisation requiert et qui sont à la fois les révélateurs de formations sociales et leurs supports identificatoires. L'affectation de tels indicateurs à deux ou plusieurs langues, plutôt qu'à une seule, peut éventuellement faciliter, chez l'enfant, leur discrimination et leur apprentissage. Plus fondamentalement, cependant, l'enfant découvrira, par son engagement même dans le maniement du langage et dans les discours, quelle est sa place dans l'ordre des alliances et de la parenté en tant que fils ou fille de..., mais aussi par rapport à l'ensemble des valeurs que représentent par exemple les identités de fille ou de garçon. Le rapport au langage engage celui qui parle dans la communication – c'est le critère généralement adopté en linguistique –, il l'engage aussi en tant que sujet qui ne saurait énoncer sans que se signifie son état de parlant. Par-delà les variantes du type de situation uni-, bi- ou plurilingue, la spécificité humaine est alors en cause et nous interroge. Une psychologie clinique de la bilingualité pourrait trouver dans de telles propositions les assises à des formulations qui viseraient à préciser la part des conditions bi- ou plurilingues dans la formation des névroses.
Font pendant à un tel point de vue clinique les questions et les formulations issues de l'étude des comportements. Les travaux des neurologues qui ont étudié les effets des lésions cérébrales sur le langage des unilingues et des bilingues suggèrent qu'il existe des zones cérébrales spécialisées pour les fonctions linguistiques et que la facilité d'apprendre des langues serait inversement proportionnelle à l'âge. Jusque vers l'âge de dix ans, l'enfant aurait des possibilités bien supérieures à celles de l'adulte pour apprendre une seconde langue ou même plusieurs. Ces premiers résultats, dont le bien-fondé doit être établi avec plus de rigueur, ont donné lieu à des conclusions opposées. Pour les uns, ils prouvent que le bilinguisme précoce ne peut pas être un mal mais qu'il est le seul bilinguisme facile. Pour les autres, ces mêmes résultats servent d'argument à la défense de l'unilinguisme chez l'enfant, au nom du respect de ses capacités de développement. La première langue remplirait pour l'enfant des fonctions qui ne peuvent être ni partagées, ni prises en charge ultérieurement par une autre langue. L'expérience prouve qu'il convient de nuancer de telles affirmations. Dans des conditions de migration, par exemple, la première langue acquise peut être oubliée à cause de la pratique continuelle et exclusive de la langue du pays d'adoption. Il est peu probable cependant qu'une personne renoue avec d'autres langues les liens affectifs qui l'attachaient à sa première[...]
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Écrit par
- Penelope GARDNER-CHLOROS : chercheur au C.N.R.S., professeur à l'université Louis-Pasteur, Strasbourg
- Andrée TABOURET-KELLER : professeur à l'université Louis-Pasteur, Strasbourg
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