PLUTARQUE (46 env.-env. 120)
Les « Vies parallèles »
Plutarque entreprit, selon son témoignage, la rédaction des biographies de quelques hommes célèbres à l'instigation de ses amis. S'étant pris d'intérêt pour ce travail, il allait en fait consacrer une bonne partie de la fin de sa vie à composer, d'abord sans doute, les quatre Vies isolées d'Aratos, d'Artaxerxès, d'Othon et de Galba, puis les vingt-deux « couples » de Vies parallèles qui nous restent, une dizaine d'autres Vies étant perdues : un Grec-un Romain, soit Thésée-Romulus, Lycurgue-Numa, Solon-Publicola, Thémistocle-Camille, PériclèsFabius Maximus, Alcibiade-Coriolan, Timoléon-Paul Émile, Pélopidas-Marcellus, Aristide-Caton l'Ancien, Philopœmen-Flamininus, Pyrrhos-Marius, Lysandre-Sylla, Cimon-Lucullus, Nicias-Crassus, Eumène-Sertorius, Agésilas-Pompée, Alexandre-César, Phocion-Caton le Jeune, Agis et Cléomène-les Gracques, Démosthène-Cicéron, Démétrios-Antoine, Dion-Brutus. Ce faisant, Plutarque n'inaugurait pas un genre : la littérature grecque avait déjà connu des « éloges », des tentatives biographiques, voire des Vies à l'époque hellénistique ; mais, vu que de ces dernières nous ne possédons que d'infimes fragments, nous ne pouvons savoir ce que Plutarque leur doit. Quant à l'idée de la « comparaison » par paires, elle représentait depuis longtemps un exercice de rhétorique. Adaptée de cette manière à la biographie, elle était en quelque sorte conforme à la réalité contemporaine, marquée par l'entrée en politique, comme sénateurs et magistrats, de nombreux Grecs, auxquels Plutarque voulait peut-être montrer dans quel esprit ils devaient accepter la compétition. Elle flattait néanmoins, en magnifiant certaines visions du passé, le patriotisme hellénique de Plutarque, quel qu'ait été par ailleurs son loyalisme à l'égard de Rome.
Plutarque – il le déclare expressément – ne voulait aucunement en composant ses Vies faire œuvre d'historien, mais uniquement peindre des caractères. C'est-à-dire, en fait, des individus, sans considération de leur influence sociale ni même, en général, de leur insertion dans la chronologie. Ses héros ne sont que de remarquables exemples, des figures représentatives de l'humanité aux prises avec ses passions, victorieuses ici dans le vice, vaincues là dans la vertu. Les Vies sont en somme la vérification sur dossier de la philosophie des Œuvres morales. Que Plutarque, toutefois, ait pu célébrer des faits de guerre ne relevant que de cette course à la gloire et à la puissance qu'il réprouvait en tant que philosophe est une contradiction qu'il ne semble pas avoir ressentie. Pour ce qui est du choix des héros et des « couples », nous ne pouvons faire que des suppositions ; de certains, nous dirions qu'ils sont bien assortis, d'autres au contraire procèdent d'un rapprochement forcé. C'est de leur diversité, comme de celle des sources dont Plutarque s'est servi, que proviennent les différences de mise en œuvre, laquelle, autrement, serait à peu près uniforme, avec les éléments fondamentaux suivants : la famille du héros, sa jeunesse, son éducation, son aspect extérieur, les circonstances qui laissent prévoir sa destinée, son développement, ses actions, sa vieillesse, sa mort. Tout cela exposé avec parfois trop de crédulité, un certain manque de sens critique, mais un art consommé, auquel concourent les récits, les anecdotes, les images, toute une vie qui en rend la lecture si attrayante.
Après sa mort, Plutarque, à travers des imitations et des anthologies, devint vite un classique. Les œuvres attestées, traduites, pour certaines d'entre elles, en syriaque dès le vie siècle, et en latin à partir du xive, furent réunies dans de nombreux manuscrits à partir du ixe siècle. La grande impulsion fut donnée[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- François FUHRMANN : docteur ès lettres, professeur émérite à l'université de Clermont- Ferrand-II
Classification
Autres références
-
AMYOT JACQUES (1513-1593)
- Écrit par Bernard CROQUETTE
- 912 mots
Humaniste et prélat français, c'est en tant que traducteur que Jacques Amyot s'imposa comme grand écrivain. Né à Melun d'une famille modeste, « le Plutarque françois » fait à Paris de brillantes études, de grec notamment, et est reçu maître ès arts à dix-neuf ans. En 1534 ou...
-
DELPHES
- Écrit par Bernard HOLTZMANN et Giulia SISSA
- 9 618 mots
- 9 médias
...cinq cents statues en bronze, qu'il destine à sa Maison d'or. L'oracle, victime du déclin des cultes païens traditionnels, tombe peu à peu en désuétude : Plutarque, qui fut prêtre à Delphes et dont les nombreux opuscules sur les cultes et les rites de Delphes sont notre meilleure source d'information,... -
MARIAGE
- Écrit par Catherine CLÉMENT , Encyclopædia Universalis , Catherine LABRUSSE-RIOU et Marie-Odile MÉTRAL-STIKER
- 11 583 mots
- 2 médias
...soi comme être raisonnable. Le mariage ne serait-il pas d'ores et déjà l'espace de l'aide mutuelle ? À la suite de Musonius, de Pline et de Sénèque, Plutarque, dans l'Eroticos, systématise ce point de vue. Déplaçant l'amour des garçons à la relation conjugale, il accorde à celle-ci la suprématie... -
OGYVIE ÎLE D'
- Écrit par Marie-Rose MAYEUX
- 726 mots
Déjà mentionnée dans Homère (L'Odyssée, XV), l'île d'Ogyvie est le lieu où Plutarque (46 env.-120) place sa société idéale. Son traité De la face qui paraît sur la Lune, que l'on situe entre 75 et 83 à cause de la mention qu'il fait d'une éclipse solaire, est un dialogue...
- Afficher les 8 références