POÈME, Parménide Fiche de lecture
Les difficultés liées à l'interprétation des 155 hexamètres qui nous sont parvenus du Poème de Parménide d'Élée (— 500 env.-— 440), intitulé aussi De la nature, conjuguent à la fois les problèmes liés à la philologie et les questions propres à la philosophie. « Notre père Parménide », comme Platon l'appelle dans le Sophiste (241d), après lui avoir consacré un de ses dialogues les plus complexes, et sur lequel il commet un « parricide » où l'on peut voir un acte inaugural de la philosophie, aura connu bien des interprétations : Parménide y fut tour à tour philosophe de l'Un, penseur de l'identité de l'être et de la pensée, philosophe du langage, voire penseur de l'Être encore et toujours à penser. Le Poème demeure une énigme à déchiffrer, d'où l'impressionnante bibliographie des études qui lui sont consacrées.
L'affirmation ontologique
Selon toute apparence et de façon assez simple, il est possible de diviser ce qui nous reste du poème (connu avant tout par l'entremise de Théophraste, Simplicius, Sextus...) en trois parties : une première, mythique, disant l'initiation par la déesse Vérité, une seconde proprement philosophique, voire « métaphysique » avant la lettre, décrivant « la Voie de la Vérité », et enfin une partie « cosmologique » ou « physique » paradoxalement placée sous l'invocation de « la Voie de l'Opinion », ce qui aurait pour conséquence fâcheuse de rendre caduque une telle cosmologie aux dires de Parménide lui-même.
Les vers du fragment 2 semblent légitimer l'opposition radicale entre ces deux voies : « Je vais te dire quelles sont les deux seules voies de recherche à concevoir : la première – comment il est et qu'il n'est pas possible qu'il ne soit pas – est le chemin auquel se fier – car il suit la Vérité. La seconde, à savoir qu'il n'est pas et que le non-être est nécessaire, cette voie, je te le dis, n'est qu'un sentier où ne se trouve absolument rien à quoi se fier. » Le non-être, ce qui n'est pas, ne peut être ni connu ni « énoncé en une parole ». Seule l'opinion, se fiant aux sens et victime de l'apparence, suit la fausse voie.
L'articulation, voire l'opposition, de ces deux voies n'a cessé de poser des problèmes aux philologues (Diels, Wilamowitz, Reinhardt...) ainsi qu'aux philosophes (Heidegger, Beaufret...). À trop rigoureusement les opposer, on aboutit à un Parménide anti-héraclitéen, radical adversaire du monde sensible et du mouvement. Sans qu'il soit formulé explicitement – il faudra attendre Aristote pour cela – le principe de contradiction semble à la base de la spéculation cosmologique qui s'énonce ici. « Il n'est pas permis, ni de dire ni de penser que c'est à partir de ce qui n'est pas ; car il n'est pas possible de dire ni de penser une façon pour lui de n'être pas. » Parménide en tire des conclusions qui seront au fondement de la conception antique du monde : l'Univers n'a pas été engendré et ne sera pas non plus détruit. Il est un tout complet et clos, et ne peut changer. Il faut toutefois noter quelques particularités « modernes » de sa cosmologie : ainsi, il affirme la sphéricité de la Terre, tout comme il observe que la Lune ne tient pas sa lumière d'elle-même mais du Soleil, et que l'étoile du matin et l'étoile du soir sont un seul et même corps céleste (Vénus).
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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