POÈME SYMPHONIQUE
Genre musical illustré pour la première fois sous cette dénomination par Liszt, et désignant une œuvre orchestrale déterminée au point de vue de la conception et de la structure par un argument extérieur d'ordre poétique, descriptif, pittoresque, légendaire, philosophique. Ainsi conçu, il correspond aussi bien à certaines tendances générales du xixe siècle — spéculations philosophiques et littéraires, éveil des nationalités — qu'à un désir des compositeurs de l'époque de dépasser les formes « abstraites » (forme sonate en particulier) héritées du classicisme ; il traduit un souci d'expression plus que d'architecture, et définit la musique « à programme » par opposition à celle dite « pure ». En fait, on peut aussi le rattacher à la fameuse phrase de Wagner sur l'impossibilité de continuer à composer des symphonies après Beethoven, et observer à son propos que Liszt tient surtout à montrer non pas que la forme est sans importance, mais qu'elle doit être reliée à une idée poétique et non à un schéma établi à l'avance. Il y réussit dans la mesure où, justement, parmi ses treize poèmes symphoniques, d'inspiration fort diverse, se trouvent certaines des pages formellement les plus originales et les plus riches d'avenir du romantisme musical (Prométhée, Héroïde funèbre, Hamlet, Du berceau à la tombe) ; mais il en va de même de sa Sonate en si mineur. À sa suite, le poème symphonique se répand en Bohême avec Smetana (Ma Patrie) et Dvořák, en France avec Saint-Saëns (Danse macabre) et César Franck (Le Chasseur maudit), en Russie (où il s'allie particulièrement bien à la couleur orchestrale) avec Moussorgski (Une nuit sur le mont Chauve), Borodine (Dans les steppes de l'Asie centrale) et Rimski-Korsakov, tandis qu'en Allemagne apparaît avec Richard Strauss (Dom Juan, Till Eulenspiegel, Ainsi parlait Zarathoustra, Une Vie de héros, Don Quichotte), l'héritier le plus authentique de Liszt en la matière. Le poème symphonique finit par englober peu à peu tout ce qu'il est permis d'imaginer, tant sur la plan de l'inspiration que de la structure (depuis les formes sui generis jusqu'à celles de la variation ou du rondo), et ceux qui s'y consacrent sont légion. Il importe cependant de noter que les morceaux de musique inspirés par des arguments extérieurs en déterminant plus ou moins la structure existèrent bien avant le xixe siècle, voire de tous temps ; il ne suffit pas qu'une partition ait un titre ni qu'elle soit très évocatrice pour qu'il s'agisse d'un poème symphonique ; les grandes séries d'œuvres de musique « pure » sont aussi diverses de structure que les poèmes symphoniques de Liszt ; et le meilleur « sujet » ou argument ne garantit jamais à lui seul la musique (un poème symphonique lui aussi est d'abord fait de notes) : vérités que viennent opportunément rappeler des ouvrages aussi différents que les pièces « pittoresques » pour virginal de Byrd et les chansons de Janequin, la Symphonie pastorale de Beethoven et la Fantastique de Berlioz, ainsi que La Mer de Debussy, les concertos pour piano de Mozart et les symphonies londoniennes de Haydn. Cela sans oublier Pelléas et Mélisande de Schönberg ni Tapiola de Sibelius, à la fois très grands poèmes symphoniques et sommets architecturaux de la musique du xxe siècle, sources d'émerveillement aussi bien pour le commentateur que pour l'analyste.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Marc VIGNAL : musicologue, journaliste
Classification
Médias
Autres références
-
CHAUSSON ERNEST (1855-1899)
- Écrit par Marc VIGNAL
- 527 mots
Compositeur français né à Paris, un des principaux disciples de César Franck, Ernest Chausson fit dans une certaine mesure le lien entre celui-ci et Debussy, son ami et protégé. Après des études de droit, il n'entre au Conservatoire qu'à l'âge de vingt-cinq ans, dans les classes de Massenet...
-
DELIUS FREDERICK (1862-1934)
- Écrit par Juliette GARRIGUES
- 1 278 mots
- 1 média
...et l'admiration qu'il éprouve pour Richard Wagner lui fait adopter une technique de plus grande envergure qui engendre un style musical plus triomphal. Trois poèmes symphoniques naissent de ce changement d'esthétique : In a Summer Garden (1908), The Song of the High Hills (1911-1912) et Eventyr... -
DUKAS PAUL (1865-1935)
- Écrit par Marc VIGNAL
- 670 mots
Paul Dukas relève de cette rare catégorie de compositeurs qui « ne se résignèrent qu'au chef-d'œuvre » : bien qu'ayant vécu soixante-dix ans, il se limita à sept œuvres principales et à cinq partitions plus réduites, dont Prélude élégiaque sur le nom de Haydn...
-
FRANCK CÉSAR (1822-1890)
- Écrit par Alain PÂRIS
- 2 030 mots
- 1 média
En 1847, Franck signait un premier poème symphonique, d'après Victor Hugo, Ce qu'on entend sur la montagne. L'œuvre de Liszt qui porte le même titre, publiée seulement en 1857, semble avoit été composée vers 1848-1849. Franck avait des modèles dans les ouvrages de Berlioz, les ouvertures... - Afficher les 16 références