POÈMES, Constantin Cavafy Fiche de lecture
L'œuvre de Constantin Cavafy occupe une place de premier ordre dans la littérature mondiale du xxe siècle. Pourtant, le poète ne fit absolument rien pour la diffusion de ses textes. Sa vie durant, il ne cessa de composer et de classer ses poèmes (chronologiquement, thématiquement), sans jamais les publier, et se contenta de n'en faire éditer que très parcimonieusement. Ce Grec né à Alexandrie en 1863 et mort dans la même ville en 1933 n'a pour patrie que sa langue natale, symbole d'universalité et de tolérance. Il affirme même : « Je ne suis pas grec, je suis hellénique. » Cavafy ne cesse d'interroger la langue grecque, que ce soit celle de ses illustres prédécesseurs ou celle de la rue. Avec autant de patience que de rigueur, ce contemporain d'André Gide est, lui aussi, un esthète qui veut libérer l'art de l'emprise de l'État et qui aime le poète américain T. S. Eliot (1888-1965), Musset (1810-1857) ou Baudelaire (1821-1867). Une première édition posthume, regroupant 154 poèmes, paraît en 1935, mais il faudra attendre 1963 pour que le texte des Poèmes soit définitivement établi.
Dissidence et secret
Cet homme raffiné, effacé, est d'abord un poète qui entre en dissidence : il explore les puissances du désir homosexuel, se nourrit de la nostalgie du plaisir pris et ressuscité par une impression, un lieu, un visage : « Désirs et sensations, voilà mon apport à l'Art. » Employé pendant trente ans au service de l'irrigation, ce modeste fonctionnaire à l'allure de dandy travaille sans relâche à la construction d'un monument poétique où chaque texte repose sur l'exploitation d'un détail (« Le Miroir dans le vestibule »), d'un constat (« Monotonie », « Conscience ») d'une date (« En 200 avant J.-C. »), d'un élément tiré de l'Histoire (« La Bataille de Magnésie »), ou d'une anecdote livresque relatée par les écrivains grecs et latins de l'Antiquité : Plutarque, Polybe, Suétone (« Les Pas », « Sur Néron »)... Ce parti pris de lettré, qui consiste à retourner aux sources de la littérature grecque, exalte aussi la lutte contre toute forme d'intégrisme, de pusillanimité, d'hypocrisie.
Il s'agit ensuite de mettre en lumière ce qui possède un sens caché, de métamorphoser le désir en rédemption par la grâce de l'écriture. Alors, le souvenir de la beauté perdue d'un éphèbe demeure inaltérable, et la contemplation se fait jouissance : « Un lointain écho de ces jours de plaisir, un écho de ces jours m'est revenu tout à l'heure, quelque chose de l'ardeur mutuelle de notre jeunesse. » Face à l'homosexualité bannie, la transgression trouve dans l'avancée du poème une forme qui la justifie ; les vers sont posés comme des vérités qui se découvrent éternelles parce qu'elles sont quotidiennes.
Dans la composition de chaque pièce, pas de pathos, pas de fioritures. Cavafy avoue « toujours préférer les faits aux conclusions qu'on en tire ». Le poète isole un moment minutieusement daté (« Jours de 1896 ») dont il fait le récit, sans perdre l'occasion de donner son opinion : « Son discrédit fut total. Des penchants amoureux strictement réprimés autant que réprouvés (naturels cependant) en furent la cause... »
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Écrit par
- Claude-Henry du BORD
: professeur d'histoire de la philosophie, critique littéraire à
Études , poète et traducteur
Classification
Média
Autres références
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CAVAFY CONSTANTIN (1863-1933)
- Écrit par Stratis TSIRKAS
- 2 804 mots
...usage pondéré de l'imagination. Le choix qu'il fait, pour les publier en un recueil en 1904, de quatorze poèmes sur les quelque cent quarante qu'il a alors écrits révèle un sens critique aigu et sûr.À partir de 1911, il publie ses poèmes sur des feuilles volantes que, périodiquement, il fait brocher.