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POÈMES, Emily Dickinson Fiche de lecture

Contemporaine des écrivains américains Poe, Melville, Hawthorne et Whitman, Emily Dickinson est née en Nouvelle-Angleterre (États-Unis) en 1830, dans un milieu pétri de culture puritaine. Totalement inconnue de son vivant, elle ne réussit à publier que cinq poèmes, dans de petits journaux et souvent sans nom d'auteur. L'œuvre de cette « âme en incandescence » regroupe pourtant 1 775 poèmes dont la majeure partie est réunie dans quarante « cahiers cousus » qui ne sont ni datés ni numérotés. L'auteur les lègue à sa sœur Lavinia qui s'emploie à les faire publier : quatre ans après la mort d'Emily, survenue en 1886, un premier choix de Poèmes rencontre un succès immédiat : il y aura onze rééditions en deux ans !

Magie des images et du rythme

Isolée dans sa chambre, Emily aime lire la Bible, ainsi que la littérature anglaise de son époque (Dickens, Charlotte Brontë, Ruskin, Keats, Elizabeth et Robert Browning). Pour échapper à la monotonie d'une existence sans surprise, pour tenter d'oublier son isolement, ses déceptions amoureuses ou amicales, elle cherche à anéantir par l'écriture l'emprise du temps. Les années 1861-1863 sont les plus ardentes, les plus nourries de poésie, « ce fil d'or, cette longue fibre étincelante et touffue qui éclipse toutes les autres ». Fascinée par l'Apocalypse, dernier livre du Nouveau Testament attribué à saint Jean, Emily Dickinson élabore une poésie où la révélation est toujours couverte par un voile qui la cache : comme dans le livre de saint Jean, la vérité poétique devient une sorte de prophétie énigmatique où les images les plus frappantes s'enrichissent de nombreuses métaphores, d'ellipses, violemment scandées, comme sous la pression d'une vision : « La Chair – Livrée – Annulée –/ L'Incorporel – commence –/ Deux Mondes – Audiences – se dispersent –/ Et laissent l'Âme – seule –. » Ce style haché comme une hymne protestante traduit une tension et des peurs : le néant, le jugement, la dissolution de l'être. Comme la « Création [est] impuissante », le poète répond avec « la langue d'Yeux » au ravissement élémentaire qui l'entoure : le vent est prince des oiseaux, « L'Esprit est lisse », le Paradis est un « Petit bourg » où il serait presque possible d'être heureux en compagnie « Des Gens – tels des Phalènes ». Pour Emily Dickinson, le désespoir et la peur sont un, exister est un drame sans cesse recommencé. Et si l'éveil est souffrance, il n'est permis que de rêver.

Cet itinéraire proche de l'aventure mystique ne peut être compris qu'en empruntant plusieurs directions : la passion dévorante, l'élan spirituel, la poésie instinctive, métaphysique, l'urgence de fixer par des mots une émotion. Considérée comme une totalité, cette œuvre laisse voir une âme à la fois éprise de solitude et aspirant à jouir d'un amant ; projetant sans cesse cet amour qui ne s'incarnera que dans des figures fortement idéalisées, elle le transmue en un désir d'éternité, dans un au-delà biblique lourd d'images : le jardin, le verger, les oiseaux, les choses d'ici-bas devenant le signe d'une « Grâce supérieure » qui nous demeure interdite. Le poète, dans la compagnie du soleil et de l'été, voudrait s'oublier dans le ciel d'un paradis où « l'À-Jamais – est composé de Maintenants – ».

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de la philosophie, critique littéraire à Études, poète et traducteur

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