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POÈMES, Gerard Manley Hopkins Fiche de lecture

Bien que son œuvre au demeurant fort mince n'ait été connue que trente ans après sa mort, Hopkins est une figure majeure de la poésie anglaise du xixe siècle. Né en 1844 dans une famille anglicane et bourgeoise, le futur poète poursuit de brillantes études à Oxford. Animé par une foi ardente, il abjure le protestantisme, le 21 octobre 1866. Au printemps de 1868, Hopkins décide d'entrer dans la Compagnie de Jésus, sous l'influence de John Henry Newman, autre converti célèbre et fervent théologien. Ordonné en 1874, devenu jésuite, il occupe plusieurs postes comme prédicateur à Farm Street, prêtre à Oxford ou professeur de lettres ; à partir de 1884, il enseigne le grec à l'université de Dublin et s'impose le silence : il n'écrira que si ses supérieurs le lui demandent. Après une vie pastorale sans histoire, et une existence que beaucoup jugeraient banale, Hopkins meurt de la fièvre typhoïde en 1899, à Dublin. La première publication de la cinquantaine de poèmes achevés qu'il laissa est due au poète anglais Robert Bridges, en 1918. Généralement, on divise ces textes en trois périodes : la première, heureuse et inspirée par la Nature ; la deuxième, marquée par la maturation et les premiers doutes, la dernière, celle des « années terribles », traversées d'angoisse, de mélancolie, d'agonie.

La puissance de l'invisible

La religion de la Nature prédomine chez les poètes victoriens. Le Prélude (1850) de Wordsworth en est le nouvel évangile. Hopkins renouvelle ce thème en développant un réalisme propre : l'âme humaine rencontre la Nature sous son aspect le plus terrible dans Le Naufrage du Deuschtland, long poème de trente-cinq strophes composé en 1875, où, sous l'influence de William Blake, il affirme qu'il ne peut y avoir de foi sans prise en compte de « la rage de la tempête et de l'épée destructrice ». Cet autre réalisme est sans doute renforcé par la pratique des Exercices de saint Ignace de Loyola où les détails physiques de la Passion du Christ se font violentes images mentales. Hopkins intègre ainsi une conception charnelle du christianisme : pour lui, la réalité passe par la chair, le sang, au point que nul symbole n'est compréhensible sans une incarnation.

Le poète doit à John Ruskin, écrivain et critique d'art, l'observation scrupuleuse et scientifique des structures, ce qu'il appellera « l'inscape », le motif intérieur. Son symbolisme néo-platonicien est celui de Coleridge (Le Dit du vieux marin, 1798), mais il ne cesse de l'élargir aux dimensions du monde : la sensualité déborde de sa conception du printemps « universel bonheur », « quand l'herbe s'élance et s'enroule longue, lisse et luisante ». Pour Hopkins, la réalité du visible est sans limites : la chose la plus simple – une jacinthe, une alouette – entraîne son exaltation face au monde créé. La présence de toutes formes d'êtres décline la puissance de l'invisible et l'éternelle majesté de ce qui s'offre à nos yeux. La sensation, toujours immédiate, révèle alors, par sa puissance et la simplicité de la chose regardée, la « Grandeur de Dieu » ; la particularité de Hopkins est éclatante dans sa faculté d'émerveillement, au cœur du monde sensible, à la fois joie de traduire et de transmettre une réalité inscrite, imprimée à l'intérieur de tout. Le monde se révèle indivisible : « Toute chose ici-bas fait une et même chose :/ Divulgue cet intime habitant de chacun ».

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de la philosophie, critique littéraire à Études, poète et traducteur

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