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POÉSIE, revue

En juin 1997, la revue Poésie fêta son vingtième anniversaire en publiant un quatre-vingtième numéro spécial ainsi qu'une anthologie des livraisons antérieures. Si « au milieu du mot „poésie“ un homme se gratte la tête et ronchonne » (Eluard), c'est que la poésie est devenue à elle-même question. Et c'est bien le projet de cette revue que de ne cesser d'interroger « l'inquiétude de la poésie sur son essence, le risque de sa dislocation moderne et l'humour qui anticipe sur une réunion ». En ouverture au no 80, Michel Deguy, fondateur et rédacteur en chef de la revue, écrit : « Tout est traduction [...]. La poésie se dit multiplement – énoncé qui n'est pas précaution d'éclectisme. » Le champ des genres et des langues, la multiplicité des voix et des démarches caractérisent l'aventure qui, de trimestre en trimestre, mesure le territoire sans frontière de « l'extrême contemporain ». Aires temporelles et linguistiques sont au maximum de leur amplitude : Eschyle ou Sophocle, Guy Le Fevre de la Boderie, Kosovoï, Olson ou Hölderlin voisinent avec de jeunes poètes (Xavier Bordes, Hédi Kaddour, Emmanuel Moses dans le no 43), les traductions du chinois (tout le no 65 est ainsi consacré à la Chine), du japonais, de l'arabe font entendre la différence de leurs voix avec un grand nombre de langues européennes, des proses poétiques ou des essais philologiques ou philosophiques (dus notamment à Heidegger, Jacques Derrida, Max Loreau, Jean-Luc Nancy, Claude Mouchard) s'appellent et se répondent dans des numéros composés avec soin. L'abondance des textes dessine les contours d'un grand corps dont les limites, impossibles à cerner, ambitionnent d'être celles du présent. Un présent qui, désorienté le plus souvent, est à la recherche, à défaut d'un centre, du moins d'un espace où mettre à l'épreuve ses perplexités. La notion « d'extrême contemporain », imaginée par Michel Chaillou, donnera lieu à un colloque dont les actes paraîtront dans le no 41 de la revue, où Jacques Roubaud émet ces propositions : « Être dans le langage pour s'inscrire dans l'univers matériel. Tel est pour moi le contemporain dont l'extrême est la poésie. » La poésie n'est pas seulement un certain usage de la langue, elle est aussi, avant tout, travail « contre le fanatisme de la simplicité » (M. Deguy) qui voudrait que les choses ne s'appellent que par leur nom au mépris des distinctions que font les métaphores et les tropes singularisants du dire poétique. Poésie n'est pas une revue qui publie des pièces en vers et des textes de prose, elle ne juxtapose pas la pratique à la théorie mais s'efforce de conjoindre les genres pour, dans le jeu de leurs différences, faire entendre leur proximité. Philosophie et poésie ont beaucoup à apprendre l'une de l'autre, malgré ou à cause de leurs différends. Lieu où passe la crise, la revue enregistre, tel un sismographe, les ruptures dont le champ poétique est parcouru. Elle est aussi le site où créations d'avant-garde et tradition peuvent échanger leurs vues sans pour autant perdre leur originalité. Contre l'entropie généralisée où toutes les voix se confondent et les différences s'estompent, la tâche assumée par la revue est de jeter le trouble en donnant à lire – et le plus souvent à découvrir – des textes qui, par-delà les esthétiques qu'ils illustrent ou inaugurent, font signe vers une même résistance du poétique aux nivellements de la langue.

— Francis WYBRANDS

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