POÉSIE
Une poésie d'objets et de mots
Avec Francis Ponge, la poésie s'est détournée de l'injonction lyrique au profit d'une attention particulière aux choses et aux mots. Ce nouvel enjeu s'est radicalisé au cours des années 1970, après une période dominée par des questionnements ontologiques (ceux d'Yves Bonnefoy, Jacques Dupin ou André du Bouchet). Regroupés aux éditions Orange Export Ltd (1969-1986), fondées par Emmanuel Hocquard, puis dans la revue fig. de Claude Royet-Journoud (créée en 1989), ces poètes (Hocquard, Royet-Journoud, Jean Daive, Anne-Marie Albiach, Danielle Collobert...) renouent avec des éléments de la poétique mallarméenne du langage, que la linguistique, alors à l'honneur, vient renforcer de ses théories.
Leur œuvre, contemporaine des jeux oulipiens sur le langage, de la poésie sonore (de Bernard Heidsieck, son promoteur après Dada, jusqu'à Charles Pennequin ou Serge Pey) et de la poésie « concrète » (inventée au Brésil dans les années 1950 par Haroldo de Campos et continuée par Julien Blaine en France), affiche une austérité qui la distingue de ces pratiques ludiques ou « postdadaistes ». Rompant avec la métaphore, ces poètes sont attachés au mot lui-même, davantage qu'à ses dimensions strictement sonores ou graphiques. Ils l'isolent dans le blanc de la page, comme Jean Daive dans Le Cri-cerveau (1977), ou brisent la phrase, comme Danielle Collobert, afin de manifester la densité d'un « être-là » verbal, privé de syntaxe, veuf du sens et détaché de tout affect.
Les poètes grammairiens
Au début des années 1980, alors que la poésie renoue avec la déambulation (Jacques Réda), les sensations matérielles (Claude Esteban), les élans mystiques (Jean Grosjean) ou « néo-lyriques » (Jean-Michel Maulpoix), ces poètes, acquis au signifiant plutôt qu'au signifié, entreprennent de défendre le bastion des dernières avant-gardes. Sans trancher aussi abruptement que Denis Roche qui déclare la poésie « impossible », Emmanuel Hocquard en interroge les conditions de possibilité. Christian Prigent, fondateur, dans les années 1970 de la revue TXT, et Jean-Marie Gleize, qui crée la revue Nioques en 1989 s'en font les théoriciens. L'un publie Une erreur de la nature (1996) et À quoi bon encore des poètes (1996) ; l'autre A noir, poésie et littéralité (1992) et Le Principe de nudité intégrale (1995). Ces ouvrages récusent fortement toute « restauration » lyrique et affichent une littéralité radicale. Le langage devient un matériau, non un véhicule d'émotions.
Tous revendiquent la leçon des objectivistes américains Georges Oppen et Louis Zukofsky, et accordent, comme eux, une grande place à la description. Ils entretiennent le dialogue avec les penseurs les plus exigeants, déconstructeurs des grands discours de la philosophie, et avec les artistes plasticiens les plus soucieux d'expérimention, au point que leur poésie pourrait être dite « conceptuelle » en ce qu'elle se fonde souvent sur un dispositif ou une structure préalable selon des principes expérimentés en art plastique (E. Hocquard, Théorie des tables, 1992). Aussi n'est-ce bientôt plus le mot qui compte pour lui-même, mais la langue, son système, sa syntaxe ; sa mémoire aussi, ses résonances. Quitte à éclater cette syntaxe sur la page comme Anne-Marie Albiach ou à lui faire subir d'étranges remaniements comme Dominique Fourcade (Le Ciel pas d'angle, 1977). Aussi Hocquard propose t-il de renommer « poètes grammairiens » ceux que la critique appelait jusque-là « textualistes ».
Car une nouvelle « grammaire poétique » s'invente à travers ces œuvres. Pierre Alferi, dont l'un des premiers livres s'appelle justement Chercher une phrase (1991), et Olivier Cadiot, qui joue avec les « exercices à trous » de la grammaire dans[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michel COLLOT : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
- Dominique VIART : professeur des Universités, université Paris Nanterre, Institut universitaire de France
Classification
Médias
Autres références
-
GENRES LITTÉRAIRES, notion de
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 847 mots
Pour l'essentiel, ce silence se poursuit jusqu'au xviiie siècle. Les théoriciens de l'âge classique n'ignorent évidemment pas l'existence de la poésie lyrique, comme l'atteste, parmi d'autres, l'Art poétique(1674) de Nicolas Boileau. Mais, en partie parce qu'ils... -
ACROSTICHE, littérature
- Écrit par Véronique KLAUBER
- 317 mots
La règle de ce jeu littéraire est simple : il suffit d'écrire des vers dont les initiales, lues verticalement et dans l'ordre, forment un mot en rapport avec le poème. La typographie particulière peut faciliter le décryptage du message qui concerne le plus souvent le nom de l'auteur, celui du dédicataire...
-
ALJAMIADA, littérature
- Écrit par Bernard SESÉ
- 532 mots
De l'arabe al-'adjamiyya (paroles d'étranger), le mot aljamía se trouve déjà dans le Poema de Alfonso XI (vers 1348) ; il désigne le latin corrompu utilisé par les mozarabes, c'est-à-dire les chrétiens hispano-romains de l'Al-Andalus ayant accepté la domination de l'Islam (711-712)....
-
ARTS POÉTIQUES
- Écrit par Alain MICHEL
- 5 904 mots
- 3 médias
- Afficher les 133 références