POÉSIES, Heinrich von Morungen Fiche de lecture
Heinrich von Morungen (mort en 1222) est sans nul doute, avec Walther von der Vogelweide, l'un des plus brillants représentants du Minnesang (littéralement chant d'amour dans la poésie courtoise médiévale allemande) même si ses contemporains lui préféraient le poète attitré de la cour de Vienne, Reinmar l'Ancien. Heinrich est originaire de Thuringe – le château de famille se situe près de Sangerhausen – et a vraisemblablement composé ses poèmes au tournant des xiie et xiiie siècles. Il vit ses dernières années dans le monastère de Saint-Thomas à Leipzig, auquel il lègue ses biens dès 1217.
Le Grand Chansonnier de Heidelberg, également appelé « Manuscrit des Manesse » ou « Manuscrit de Paris », contient la quasi-totalité des strophes de Heinrich. Ce manuscrit, composé à Zürich après 1300, comprend les œuvres de cent trente-neuf Minnesänger (poètes courtois) et cent trente-huit miniatures, censées représenter les poètes et leur blason.
Tradition et innovation
Heinrich von Morungen semble conscient de la mission toute particulière du poète et dit de lui-même qu'il est né pour chanter. Il utilise la métrique provençale et reprend dans presque toutes ses chansons d'amour la forme de la canso occitane. Sa poésie trahit l'influence de modèles antiques (Ovide) et contemporains (troubadours, culte marial). Ses poèmes ont hérité de certaines métaphores propres au culte de la Vierge : à maintes reprises, la dame y est comparée à la lune à la fois pâle et rose, symbole de la bonté et de la beauté de Marie, ou au soleil, qui par sa clarté surpasse tous les autres astres, de même que la dame dépasse toutes les autres femmes en perfection. De nombreux motifs sont empruntés à la poésie provençale : la quête toujours vaine de l'accomplissement de l'amour et l'ingratitude de la dame, la mort due aux souffrances causées par l'amour, la comparaison de l'amour et de la guerre, la critique des médisants qui exercent la surveillance.
Les poèmes de Heinrich von Morungen reflètent les thèmes chers au Minnesang, la tradition courtoise du Moyen Âge allemand : le chevalier sert loyalement sa dame sans jamais obtenir ses faveurs, sinon en rêve. Cependant, la dame dont il parle n'est pas la dame lointaine et inaccessible des troubadours : le poète l'apostrophe, lui fait part sans détours des tourments que lui cause son indifférence, de la rancune qu'il éprouve vis-à-vis d'elle, et va jusqu'à affirmer qu'il préfère brûler au plus profond de l'enfer plutôt que de continuer à la servir. La dame chantée par Heinrich von Morungen est ainsi à la fois l'incarnation de la vertu, de la beauté, et la très douce et tendre meurtrière à laquelle le chevalier oppose la puissance et la constance de son amour. Heinrich innove également, en tant que Minnesänger, en donnant une description détaillée de la beauté féminine alors que la poésie allemande se contentait jusqu'alors de mettre l'accent sur la perfection intérieure et les vertus de la dame.
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Écrit par
- Patrick DEL DUCA : agrégé d'allemand, docteur (études germaniques), maître de conférences à l'université de Clermont-Ferrand-II
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