POÉSIES, Heinrich von Morungen Fiche de lecture
L'amour et la guerre
L'amour, tel qu'il apparaît à travers la plupart des poèmes de Heinrich, est présenté comme un sentiment destructeur qui ne laisse aucun repos au chevalier : cet amour aux conséquences inéluctables peut rendre le chevalier malade, le blesser au cœur ou même le conduire à la mort. La dame altière, qui reste insensible au service du chevalier, est responsable des maux qu'endure celui-ci :
« Je crois que celle que j'aime est une orgueilleuse Vénus tant elle est puissante. Elle me ravit à la fois ma joie et toute ma raison. Lorsqu'il lui plaît, elle s'installe à une petite fenêtre et, pareille à l'éclat radieux du soleil, elle me regarde. Mais lorsqu'à mon tour je désire la contempler, hélas, elle s'en va là-bas se joindre à d'autres dames. »
Dans l'une de ses œuvres, le poète demande que l'on inscrive sur sa pierre tombale les peines qu'il a endurées pour sa dame afin que tous puissent voir quel grand péché elle a commis envers son ami. Dans un autre texte, il espère même que son fils le vengera de tant d'ingratitude. À l'instar des troubadours, Heinrich von Morungen établit un parallèle entre la guerre et la relation que sa dame entretient avec lui : il accuse celle-ci de ne pas respecter les règles du combat et de vouloir lui porter préjudice sans déclaration de guerre préalable. C'est sans doute dans le Chant des Elfes que la violence de cet amour est dépeinte avec le plus de précision. De la même façon qu'un homme peut être ensorcelé par ces êtres démoniaques, le poète est victime d'un sortilège. Il est charmé par la grâce d'une dame qui, si elle désire se venger, n'a qu'à exaucer la prière du poète : elle lui causera ainsi une telle joie qu'il mourra de ravissement. Pour mieux décrire sa souffrance, le poète a sans cesse recours à de nouvelles comparaisons : son chant devient le chant du cygne, le poète perdu dans la contemplation de sa dame devient un Narcisse qui admire sa propre image, puis le miroir se brise et le bonheur fait place aux souffrances engendrées par l'amour.
Rares sont les poèmes où l'accomplissement de l'amour est possible : la seule aube (Tagelied) composée par Heinrich nous décrit, sous forme d'un dialogue (Wechsel), les adieux de deux amants séparés par les premières lueurs du jour. Seul le rêve permet au poète d'obtenir les faveurs de sa dame et d'oublier sa tristesse.
La richesse des textes, les images sans cesse renouvelées, les innovations apportées par le poète font de la poésie de Heinrich von Morungen l'un des sommets du Minnesang. Cependant, contrairement à d'autres Minnesänger qui, tel Reinmar, poussent le culte de la dame à son comble, la poésie de Heinrich von Morungen présente l'avantage de rester humaine.
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Écrit par
- Patrick DEL DUCA : agrégé d'allemand, docteur (études germaniques), maître de conférences à l'université de Clermont-Ferrand-II
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