POÈTE À NEW YORK, Federico García Lorca Fiche de lecture
Poète à New York fut écrit par Federico García Lorca (1898-1936), dans la ville de New York en 1929-1930. Certaines des pièces rassemblées sous ce titre, dans une édition posthume, étaient peut-être destinées à un autre recueil, intitulé Tierra y luna. García Lorca venait alors de traverser une profonde crise affective ; le ton désespéré de plusieurs pièces s'en fait l'écho. Son séjour aux États-Unis coïncide également avec le fameux krach de la Bourse de New York, en 1929, aux effets désastreux sur toute la société américaine et européenne. Cette double crise provoque un bouleversement de l'expression artistique, qui s'inspire de l'esthétique avant-gardiste.
Répulsion et révolte
Hermétique, complexe, traversé d'intuitions fulgurantes, ce livre exprime tout d'abord la réaction violente de rejet, ou de répulsion que suscite la Ville où « l'arbre à moignon ne chante pas » chez ce poète de la nature andalouse. Projetées sur le décor citadin, l'angoisse et la désolation intimes lui donnent des allures de cauchemar : « L'aurore de New York/ a quatre colonnes de fange/ et un ouragan de noires colombes/ qui barbotent dans les eaux pourries. [...]/ L'aurore vient et nul ne la prend dans sa bouche/ parce qu'ici il n'y a ni espoir ni lendemain possible... »
La Ville, traitée comme une sorte d'allégorie de la civilisation moderne, est constamment traversée de ces reflets sinistres. D'admirables ou terribles images, comme dans un tableau surréaliste, rendent compte de la découverte hallucinée d'un paysage avec lequel le voyageur se sent en complète disharmonie. Les images de mort, de sang, de décomposition ou de mutilation viennent alors se mêler au fer, au verre ou au béton de l'architecture.
Ce désarroi se transforme en cri de colère devant une civilisation sans racines, où la technique et la machine ont tué la vie : « Je dénonce le complot/ de ces bureaux déserts/ qui ne diffusent pas les agonies,/ qui effacent d'un trait les programmes de la forêt vierge... » La misère sociale, le règne de l'argent, la brutalité d'une civilisation matérialiste révoltent l'auteur du Romancero gitan. L'appel du poète à « l'homme vêtu de blanc » dans « Cri vers Rome », plein de fureur et d'indignation, vitupère contre l'impuissance de cette religion chrétienne qui « ignore que le Christ peut encore donner de l'eau ».
García Lorca va se faire l'interprète de tous les opprimés qui peuplent cet univers sans âme : les enfants, les Juifs, les ouvriers, les exclus. Il se sent en affinité avec les Noirs, qui ont su préserver une communion spontanée avec les éléments naturels, « le bleu désert », « les chameaux somnambules des nuages vides ». Dans ses rythmes frénétiques et avec ses images flamboyantes, l'« Ode au roi de Harlem » laisse ainsi éclater une impérieuse violence prophétique : « Ô Harlem, menacée par un peuple d'habits sans tête !/ Ta rumeur me parvient... » Cette dénonciation sociale vient se fondre avec la solitude et l'insatisfaction d'un cœur blessé. L'« Ode à Walt Whitman » est aussi l'une des compositions majeures du livre. Les allusions érotiques sans équivoque à l'homosexualité, à sa pureté ou à sa dégradation, accompagnent des évocations brutales de la ville – « New York de fange,/ New York de fil de fer et de mort. » – dans cette composition qui est à la fois un hymne d'admiration au grand poète américain et un chant de revendication de la liberté sexuelle. D'autres poèmes évoquent des échappées hors de la mégapole : « Poèmes du lac Eden Mills », « Dans la cabane du Farmer », « Poèmes de la solitude du Vermont ».
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
Classification
Média