LYONNAIS POÈTES
Du pétrarquisme à la poésie amoureuse
Les circonstances n'étaient pas propices à la survivance de ce groupe ; en outre, à Lyon, la poésie en langue maternelle allait prendre les devants, et cela grâce à des écrivains qui appartenaient à la ville ou à la région. Le premier et le plus grand est sans doute Maurice Scève. Mais, jusqu'à un certain point, les débuts de la Pléiade s'associent également à Lyon : Pontus de Tyard y publie des Erreurs amoureuses (Lyon, 1549, Continuation, 1552) et Des Autels son Amoureux Repos (1553). Puis, un an après la Délie, paraissent à titre posthume les Rymes de Pernette du Guillet (1520-1545). Lyon semble encourager la littérature féminine ; et cette tendance a modifié le pétrarquisme qui commence à se faire valoir. On sait peu de chose sur Pernette du Guillet, mais les Rymes indiquent de possibles rapports avec Scève qui y est loué pour son savoir, sa vertu et ses dons littéraires. Si elle a beaucoup appris à l'école de la poésie italienne (traductions, terza rima, genre du désespoir) et aussi à celle de Marot et de ses émules, Pernette du Guillet chante son amour sur un ton nettement plus néo-platonicien que Scève, et dans un style moins dense. Certains vers frisent la préciosité, mais c'est par son style direct et discipliné à la fois qu'elle fait preuve d'une incontestable originalité. Elle chante le plus souvent sur le mode mineur ; de temps en temps, des moments d'extase confèrent une lumière fulgurante aux grisailles de son inspiration.
Pendant une dizaine d'années, rien d'important ne sera à signaler dans notre domaine lyonnais, si ce n'est la parution chez Jean de Tournes (1547) des Marguerites de la Marguerite des princesses. Marguerite de Navarre avait des relations suivies avec certains auteurs qui connaissaient bien Lyon ; toutefois, il importe de noter que le courant de poésie religieuse se révèle ici moins vigoureux que d'autres, exception faite de quelques néo-latins et d'auteurs qui sont de passage à Lyon (Eustorg de Beaulieu) ou qui y ont publié des vers religieux ; et n'oublions pas Georgette de Montenay, dont les Emblesmes, ou Devises chrestiennes ont paru en 1571. Mais c'est surtout dans la poésie amoureuse que les Lyonnais se sont distingués.
En 1555, Louise Labé (1520 ?-1565) publie ses Euvres chez Jean de Tournes ; le volume contenait le Débat de la folie et de l'amour, trois élégies et vingt-quatre sonnets. Dans le Débat, on note la confluence d'éléments d'origine italienne (Bembo, Castiglione...) et d'Érasme. L'auteur use de toute une série de tons : on reconnaît l'importance qu'elle attache à l'amour, mais non pas aux dépens de la folie qui a ses propres qualités. Le style est dynamique, et le texte peut enrichir notre lecture des poésies. La postérité s'est penchée surtout sur les sonnets – et malheureusement aussi sur des interprétations fantaisistes de la vie de la poétesse ; or, ce qu'il importe de reconnaître, c'est l'originalité de ses vers. On a relevé, bien sûr, des sources ou des analogies : Louise Labé nous offre un basium (genre mis à la mode par Jean Second) ; on n'a aucune difficulté à signaler les thèmes d'origine pétrarquéenne (nuit, absence, solitude, etc.) ; on trouvera également chez elle quelques échos de Marot, Scève, Ronsard, Sannazaro, mais c'est peu de chose ; car, malgré les thèmes pétrarquistes qui sont d'époque, elle a créé une poésie amoureuse qui est loin de rester simplement dans la lignée du grand Italien. Tout d'abord, elle exprime sa passion du point de vue féminin, et l'identité de l'amoureux est sentie à travers la sensibilité de Louise Labé. Les élégies proclament la fatalité de son amour, et les sonnets constituent moins un sentiment qui évolue vers une fin précise qu'une série de moments qui présentent l'amour[...]
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Écrit par
- Ian Dalrymple McFARLANE
: professeur de littérature française à l'université d'Oxford,
fellow de Wadham College
Classification
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