POÉTIQUE
De la théorie des genres à l'unité des arts
Les choses commencent à changer un peu à partir de la Renaissance, et cela à plusieurs égards. Premièrement, on exhume la Poétique d'Aristote et on commence à lui faire jouer un rôle comparable à celui d'un livre saint : les ouvrages de poétique ne seront pour ainsi dire plus que des commentaires de la Poétique. Mais à la vérité ce livre se trouve plutôt desservi par sa gloire qui agit à la manière d'un écran entre lui et ses lecteurs : le texte est si célèbre qu'on n'ose ni le contester, ni, finalement, le lire. On se contente plutôt de le réduire à quelques formules devenues vite clichés, qui, coupées du contexte, trahissent la pensée de leur auteur.
En deuxième lieu s'intensifie la réflexion sur les genres. Celle-ci a une tradition aussi longue que la « théorie littéraire » en général, puisque, on l'a vu, la Poétique décrit déjà les propriétés spécifiques de l'épopée et de la tragédie. Et on n'a pas manqué depuis, dans des ouvrages de nature fort diverse, de poursuivre la même voie. Mais c'est surtout à partir de la Renaissance que ce type d'études établit ses propres traditions : les écrits se suivent sur les « règles » de la tragédie et de la comédie, de l'épopée et du roman, des divers genres lyriques. L'épanouissement de ce discours est certainement lié aux structures idéologiques dominantes et à l'idée même qu'on se fait du genre à l'époque : à savoir, celle d'une norme dont on ne doit pas s'écarter. Les genres appartiennent bien à la littérature (ou à la « poésie », ou aux « belles-lettres »), mais c'est une unité d'un niveau inférieur, obtenue par décomposition à partir du premier, en ce sens comparable aux objets de la « théorie littéraire » antérieure, et pourtant aussi différente : alors que le symbole, ou la représentation, ou le style figuré sont des propriétés abstraites du discours littéraire (dont l'extension est par conséquent plus grande que la seule littérature), les genres résultent d'un autre type d'analyse, celui de la littérature en ses parties.
Enfin, l'idée de l'unité des arts commence alors à s'imposer, et s'élabore à partir de là une théorie des arts qui cherche à encadrer au moins les deux pratiques les plus prestigieuses, la poésie et la peinture. Cette théorie se transformera au xviiie siècle en une discipline, l' esthétique, où une place sera ménagée pour la théorie littéraire, dans la mesure toutefois où celle-ci s'intègre à la théorie générale des arts. Lessing et Kant seront les premiers grands praticiens de ce discours, mais leur œuvre est préparée par une longue série de recherches, depuis Léonard de Vinci jusqu'à Shaftesbury. Aucun de ces trois développements ne conduit donc directement à la constitution de l'unité « littérature », et pourtant tous la préparent : on dispose déjà de la catégorie supérieure, l'art (dont la subdivision selon les médias sera facile), ainsi que des entités de rang inférieur, les genres ; on s'est également donné un texte de référence, la Poétique, qui assure la continuité de la tradition.
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Écrit par
- Jean-Marie SCHAEFFER : chargé de recherche au C.N.R.S.
- Tzvetan TODOROV : maître de recherche au C.N.R.S., docteur ès lettres
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