POÉTIQUE
L'autonomie de la littérature
C'est avec l'avènement du romantisme (allemand) que la notion de littérature sera établie dans son autonomie et c'est aussi le début de la théorie littéraire au sens strict (et sans guillemets). Les concepts de représentation et d'imitation cessent de jouer un rôle dominant pour être remplacés au sommet de la hiérarchie par celui de beau, et ceux qui lui sont corrélés : l'absence de finalité externe, la cohérence harmonieuse entre les parties de la totalité, le caractère intraduisible de l'œuvre d'art. Toutes ces notions pointent vers l'autonomie de la littérature et de ses œuvres, et conduisent à s'interroger sur leurs propriétés spécifiques. C'est bien cette interrogation qu'on trouve dans les écrits romantiques. Mais leur influence n'est pas immédiate, en particulier sur les études littéraires institutionnalisées, et cela est sans doute dû à la forme que prennent ces écrits : ce sont ou bien des fragments qui participent par bien des côtés à la poésie même (ainsi chez Friedrich Schlegel et Novalis), ou bien des traités philosophiques systématiques qui continuent la tradition de l'esthétique et où la littérature occupe une place bien limitée (ce sera le cas de Schelling et de Hegel).
La théorie littéraire de style universitaire ne verra donc le jour qu'au xxe siècle, dans plusieurs pays successivement. Dans les années dix et vingt de ce siècle, le lieu du renouveau est la Russie, où se constitue un courant d'idées appelé le formalisme. Entre les deux guerres le centre de gravité se déplace en Allemagne ; la théorie littéraire se partage alors en plusieurs tendances, les unes liées à la stylistique, d'autres à une approche « morphologique » des œuvres. Dans les années trente et quarante, c'est en Angleterre, puis aux États-Unis, que se développent divers courants de critique formelle et de théorie littéraire, dont le plus célèbre est le New Criticism. Tous ces groupes ont leur point de départ commun dans l'esthétique romantique, qui les amène à affirmer l'autonomie de la littérature et partant celle de sa théorie ; mais, à la différence des romantiques, ces théoriciens se livrent à un travail analytique sur l'œuvre littéraire, renouant ainsi avec la tradition d'Aristote qui, on s'en souvient, cherchait à distinguer les niveaux et les segments pertinents des œuvres. Les divers formalistes du xxe siècle sont donc plus proches de l'esprit de la Poétique que ne l'étaient les admirateurs de celle-ci au xvie siècle, puisqu'ils reprennent en quelque sorte le travail au point même où l'avait laissé Aristote ; ils réalisent ainsi une heureuse synthèse des différentes tendances qui avaient dominé la « théorie littéraire » jusqu'alors et conduisent à l'établissement de la discipline moderne.
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Écrit par
- Jean-Marie SCHAEFFER : chargé de recherche au C.N.R.S.
- Tzvetan TODOROV : maître de recherche au C.N.R.S., docteur ès lettres
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