POÉTIQUE
Situation actuelle
Avec le reflux du « structuralisme » vers la fin des années 1970, la poétique a subi une inflexion notable. Si l'analyse structurale a mis l'accent sur l'aspect syntaxique de la littérature, c'est-à-dire l'analyse immanente des formes, les développements récents de la poétique témoignent d'une prise en compte de la dimension pragmatique : sous ce terme, on regroupe l'ensemble des questions qui surgissent dès lors qu'on s'est rendu à l'évidence que les œuvres littéraires sont des actes discursifs et que donc leur dimension verbale doit être replacée dans le cadre plus global de leur situation communicationnelle.
Cette inflexion se remarque dans au moins trois domaines :
– La question de la spécificité de la littérature. En tant qu'activité artistique verbale, la littérature se situe au croisement de deux séries de faits : les faits discursifs et les faits artistiques. À son niveau le plus général, la poétique est donc appelée à se développer au moins selon deux directions : l'étude de la spécificité (éventuelle) de la littérature dans le champ des pratiques verbales et, secondairement, celle de la spécificité sémiotique de l'art verbal comparé aux autres arts, ce qui semble indiquer que l'analyse poétique ne saurait se passer d'une perspective plus largement sémiotique.
En ce qui concerne la spécificité de la littérature par rapport aux autres pratiques verbales, on peut distinguer, à la suite de Gérard Genette, au moins deux types de littérarité : le domaine de la littérarité constitutive, réunissant la fiction (caractérisée par des spécificités logiques ou pragmatiques) et la diction (la poésie, définie formellement), deux champs d'activités verbales à visée esthétique institutionnalisée ; celui de la littérarité conditionnelle, comprenant les œuvres appartenant à des genres sans visée esthétique institutionnalisée (l'autobiographie, le journal intime, le discours historique, etc.), mais qui, dès lors qu'elles font l'objet d'une attention esthétique, entrent dans le champ littéraire.
La spécificité de l'art verbal par rapport aux autres arts pose la question du statut ontologique de l'œuvre littéraire en tant qu'œuvre verbale. Nelson Goodman a proposé de distinguer entre arts autographiques – les arts sans schéma notationnel (par exemple la peinture) – et arts allographiques – les arts à notation syntaxique (la littérature mais aussi la musique). Mais le domaine même de l'art verbal n'est pas unifié du point de vue du statut ontologique des œuvres : un art allographique étant défini par l'identité syntaxique de l'œuvre à travers ses diverses instanciations (c'est-à-dire les exemplaires de l'œuvre), l'œuvre orale, caractérisée par l'absence d'identité stricte d'une performance à l'autre, échappe à cette définition syntaxique de l'identité de l'œuvre et nécessite le recours à des critères d'identité sémantique. La même analyse pourrait être menée concernant le texte théâtral.
– Création et intentionnalité. Bien qu'actuellement beaucoup des théories d'interprétation textuelle soient anti-intentionnalistes, la lecture du poéticien ne peut se passer d'une reconstruction de la structure intentionnelle des textes, puisqu'il étudie les procédés créateurs. Certains développements récents de la poétique permettent d'aborder la question de l'intentionnalité sur un plan concret. C'est le cas, avec A. Lord, Paul Zumthor, R. Finnegan, du renouvellement de l'intérêt porté aux œuvres orales. C'est aussi le cas, par exemple avec Jean Bellemin-Noël, de l'étude des avant-textes des œuvres – documentation, plans, scénarios, ébauches, dossier de brouillons, mises au[...]
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Écrit par
- Jean-Marie SCHAEFFER : chargé de recherche au C.N.R.S.
- Tzvetan TODOROV : maître de recherche au C.N.R.S., docteur ès lettres
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