POGROME ou POGROM
Terme russe désignant un assaut, avec pillage et meurtres, d'une partie de la population contre une autre, et entré dans le langage international pour caractériser un massacre de Juifs en Russie. Perpétrés entre 1881 et 1921, les pogromes furent si nombreux qu'une typologie a pu être établie à leur propos. Ils survenaient lors d'une crise politique ou économique et s'effectuaient grâce à la neutralité (parfois aussi grâce à l'appui discret) des autorités civiles et militaires.
Le première vague de pogromes eut lieu entre 1880 et 1884 : les principaux sont ceux d'Elisabethgrad l'actuelle Kirovohrad (15 avr. 1881), de Kiev (26 avr.), d'Odessa (3-5 mai 1880), de Varsovie (déc. 1881-janv. 1882), de Balta (22 mars 1882). Partout l'assaut était donné par des employés et des ouvriers, rejoints par des paysans des alentours. Le gouvernement russe prit prétexte des pogromes pour limiter les droits économiques des Juifs et les expulser des villages. En pleine crise révolutionnaire, entre 1903 et 1906, la deuxième vague de pogromes fut marquée par ceux de Kichinev (6 avr. 1903), de Jitomir (mai 1905), de Bialystok (1er juill. 1906). La troisième vague, la plus féroce, fut consécutive à la guerre civile en Russie (1917-1921). L'Ukraine indépendante en fut le théâtre majeur : des bandes de paysans en lutte contre l'Armée rouge massacrèrent les Juifs, sous la conduite de leurs ataman et avec l'appui des troupes ukrainiennes et du Premier ministre Simon Petlioura, dans maintes villes, en particulier Proskourov (15 févr. 1919). En Russie même, l'Armée blanche de Denikine organisa plusieurs pogromes, notamment à Fastov (15 sept. 1919). La victoire de l'Armée rouge y mit fin.
Le bilan des pogromes est malaisé à établir : on peut dénombrer quelque 887 pogromes majeurs et 349 « mineurs », qui auraient fait plus de 60 000 morts. Les conséquences des pogromes sont parfois contradictoires. Celui de Kichinev inspira au poète hébreu H. N. Bialik son poème « Dans la ville du massacre », par lequel il appelait son peuple à se défendre avec ses propres forces (ce qui était interdit depuis 1903 par une circulaire du gouvernement de Plehve). Un des objectifs russes fut en partie atteint : l'émigration juive vers l'Occident s'accrut brusquement. Le sionisme apparut alors comme la seule solution à proposer aux masses juives en danger de disparition violente. Lors de la troisième vague des années 1918-1921, les pogromes placèrent les Juifs aux côtés des Soviets. Enfin, conséquence lointaine des pogromes, Simon Petlioura fut assassiné à Paris, en 1926, par Shalom Schwarzbard, dont les parents avaient péri durant les pogromes ukrainiens. Défendu par Henri Torrès, Schwarzbard fut acquitté.
Sur les pogromes, on dispose d'ouvrages d'érudition et de reportages (cf. Die Judenpogrome en Russland, rapport de la Commission d'enquête de l'Organisation sioniste de Londres, Cologne-Leipzig, 1909-1910 ; et le livre de Bernard Lecache, Au pays des pogromes, quand Israël meurt, Paris, 1927).
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Écrit par
- Gérard NAHON : directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
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