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POLÉMOLOGIE

Les méthodes de polémologie

Gaston Bouthoul commence par tenter de définir le « phénomène guerre » qu'il veut étudier. Les définitions classiques lui semblent trop restrictives : pour Grotius (De jure belli, I), il s'agit d'un « recours collectif à la force » ; pour Clausewitz, c'est « un acte de violence dont le but est de forcer l'adversaire à exécuter notre volonté ». Il repousse de même les définitions d'auteurs récents dont il s'inspire, comme Quincy Wright, qui caractérise la guerre comme « un conflit simultané de forces armées, de sentiments populaires, de dogmes juridiques, de cultures nationales ». En fait, il refuse d'aborder la guerre sous un angle qu'il juge trop philosophique, juridique ou idéologique. Pour lui, elle est « la lutte armée et sanglante entre groupes organisés » (Traité de polémologie). Sa caractéristique essentielle est donc d'être « méthodique et organisée quant aux groupes qui la font et aux manières dont ils la mènent ». Mais il reconnaît qu'une définition exhaustive supposerait une connaissance parfaite du phénomène, et qu'il faut se contenter d'une définition provisoire. Ce problème conceptuel est bien, comme on le verra, une des difficultés de la polémologie.

Avant d'entreprendre une recherche sur les symptômes, les causes et les effets des guerres, G. Bouthoul a fixé pour tâche au polémologue de réfléchir sur les doctrines et les opinions qu'elles ont suscitées. Les cosmogonies et les mythologies antiques sont presque toujours centrées sur la guerre. Les dieux, victorieux de monstres, de démons ou de géants, sont à l'origine des combattants ; le culte s'accompagne de sacrifices, qui intéresseront les divinités à l'entreprise guerrière ; le paradis est promis aux guerriers les plus braves. Quant aux religions monothéistes, elles ont justifié, à différentes époques, la « guerre sainte », puis après saint Thomas d'Aquin, la guerre dite « juste ».

La pensée philosophique, la plupart du temps, a aussi justifié la guerre. G. Bouthoul mentionne le cas particulier de la Chine, mais constate : « Cette unanimité pacifiste absolument générale à travers la philosophie chinoise n'a pas empêché la Chine d'être perpétuellement en guerre. » Étudier la pensée des « apologistes de la guerre » fait partie de la polémologie, car ils se sont consacrés les premiers à une réflexion approfondie sur sa nature, notamment après Hegel, qui voit en la guerre l'accomplissement de l'État. Joseph de Maistre croit en la vertu régénératrice des guerres ; il met en lumière leur côté « inexplicable » (cette frange d'irrationalité qui est précisément un des principaux objets d'étude des polémologues), mais c'est pour en démontrer le caractère « divin ». En bonne place parmi ces apologistes, il faut placer Proudhon : « Salut à la guerre, écrit-il dans La Guerre et la Paix. C'est par elle que l'homme, à peine sorti de la boue qui lui servit de matrice, se pose dans sa majesté et dans sa vaillance... Ce sang versé à flots, ces carnages fratricides font horreur à notre philanthropie. J'ai peur que cette mollesse n'annonce le refroidissement de notre vertu. » La guerre est donc, selon Proudhon, indispensable au développement de l'humanité. Pour Spencer et les évolutionnistes, la guerre est temporairement utile à la formation des sociétés, mais elle devient nuisible dans les nations évoluées : « La guerre a donné tout ce qu'elle pouvait. »

Quant à la pensée nietzschéenne, elle reste inclassable ; certes, elle exalte la vertu guerrière, mais c'est parce qu'elle exalte tout ce qui magnifie la vie et condamne tout ce qui la restreint : la volonté de puissance de celui pour qui seule compte la lutte le voue à une existence[...]

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