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POLÉMOLOGIE

Les limites de la polémologie

Ce type de réflexion, bien que largement fondé, peut cependant faire sortir la polémologie du domaine qui est le sien, celui de la phénoménologie des conflits, et risque de conduire à poser en axiomes de simples hypothèses heuristiques. C'est au discours plus englobant de la stratégie qu'il convient de laisser, à l'âge nucléaire, l'analyse de la menace et de ses conséquences sur le comportement des populations comme sur celui des dirigeants. Ainsi est-on amené à s'interroger sur les limites de la polémologie.

Ce terme a été choisi par G. Bouthoul afin de bien marquer l'orientation qu'il entendait donner à la nouvelle discipline. Le vocable bellum s'applique étroitement à la guerre, d'où l'adjectif « belligène » ; celui de polemos s'applique à toutes les formes de conflits, même embryonnaires, comme en témoigne « polémique » et ses dérivés. Le champ d'études de la polémologie se veut donc très large. L. Poirier remarque à ce propos, dans un article d'Études polémologiques (« Problématique polémologique et volonté de création ») : « Restituer à la polémologie toute l'étendue de son champ d'investigations a pour première conséquence de la relier à la philosophie de l'histoire ; d'où les inconvénients de tous ordres qui procèdent de cette discipline dont les contours sont flous, et dans laquelle les opinions peuvent impunément prétendre au poids de rigoureuses conclusions. » Vouloir étudier la violence et les conflits, la paix et la guerre, renvoie sans cesse à une interrogation conceptuelle susceptible de diluer l'argument sociologique. Si l'on définit le conflit comme « un affrontement intentionnel entre deux êtres ou deux groupes d'êtres de la même espèce, animés d'une volonté agressive comportant une intention hostile à cause d'un droit et qui peuvent, le cas échéant, pour maintenir ou retrouver ce droit, essayer de briser la résistance par un recours à la violence » (J. Freund), une relation sociale non violente peut être conflictuelle, de même qu'une violence purement hétérophobe et irraisonnée est susceptible de se déclencher sans aucune des motivations justificatrices qui caractérisent le conflit ; quant au concept de paix, il s'applique aussi bien à un optimum abstrait qu'à l'état de non-guerre pendant lequel se déroule le processus étiologique du conflit armé.

Le polémologue se trouve donc placé devant un choix difficile. Sommé de définir le domaine exact de sa recherche, il risque, en voulant éviter l'écueil de l'investigation philosophique, de partir de prolégomènes par trop réducteurs qui le confineraient au rôle étroit de comptable appliqué des événements guerriers. C'est pourquoi il faut lui rendre sa vraie place. Là où le théoricien de la guerre nucléaire, dont la spéculation ne peut être étayée par l'étude des précédents, apporte un raisonnement abstrait, le polémologue fournit une rationalisation de l'expérience passée dont la théorisation ne saurait en aucun cas prétendre constituer une rupture épistémologique de la science guerrière. Il en sera tenu compte pour maîtriser une conjoncture concrète, en fonction d'un ensemble de données politiques, économiques, psychologiques ; mais dans les moments décisifs où, comme l'a souligné Raymond Aron à propos de la crise de Cuba, « les analystes deviennent acteurs parce que les acteurs pensent en analystes et que les uns et les autres influent sur les conséquences de la crise par l'interprétation qu'ils en donnent », le polémologue a déjà joué son rôle : celui d'un chercheur à qui il appartient de remplir une case essentielle dans la « boîte à outils », de plus en plus complexe et diversifiée, du stratège.

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