POLICE EN FRANCE DE 1814 À 1870
De 1814 à 1870, la trajectoire de la police est plurielle, fragmentée, parfois contradictoire. Durant cette période qui connaît quatre régimes et deux révolutions, les institutions et les agents chargés des activités de police (police politique, administrative, judiciaire) se trouvent tiraillés entre les exigences nouvelles du libéralisme politique et les impératifs du contrôle d’État. Mais ils sont aussi marqués par les transformations socioculturelles du pays (urbanisation, industrialisation, essor de la presse et de l’édition), tout en restant modelés par des héritages administratifs anciens. Cette phase de remise en cause est également un temps de croissance des effectifs et un puissant moment de redéfinition. Après les années 1814-1848 où l’institution est confrontée à des tensions nouvelles s’ancre peu à peu, non sans persistants hiatus, l’idée d’une police chargée de la protection de l’État et censée assurer de plus en plus la sécurité des biens et des personnes.
« Haute police » et libéralisme
La première Restauration (avril 1814-mars 1815) illustre les incertitudes du moment : le décret des 16-21 mai 1814 supprime le ministère de la Police générale et la préfecture de police parisienne, symboles du despotisme napoléonien. Après les Cent-Jours, toutefois, la Police générale est de nouveau confiée à Joseph Fouché, le terrible ministre de la Police de Napoléon Ier, tandis que la préfecture de police est rétablie.
La seconde Restauration hérite d’un appareil policier complexe. À Paris, l’ordre est assuré par la préfecture de police, partagée entre des bureaux chargés de la police politique (première division), de la police judiciaire, avec les « brigades de sûreté » d’Eugène-François Vidocq (deuxième division), de la police économique, qui s’occupe également de la voirie et du nettoiement (troisième division). Elle a aussi autorité sur les agents chargés d’assurer l’ordre dans la capitale, officiers de paix et inspecteurs, sur le corps des commissaires de police, au rôle fondamental, sans oublier – de manière intermittente – sur les forces plus ou moins militarisées (garde nationale, garde municipale ou gendarmerie royale). Dans le reste du pays, les affaires de police sont de la responsabilité des préfets à l’échelle départementale et de celle des maires à l’échelle municipale, suivant des arbitrages complexes : les marges de manœuvre de ces derniers, tout comme leurs modes de désignation (par le ministère de l’Intérieur ou par l’élection locale), varient selon les périodes. Les commissaires de police, de même, sont nommés et promus par le pouvoir central, payés par les municipalités, mais dépendent des parquets en matière judiciaire. Dans les grandes villes, la police est exercée par des commissaires, des agents de police, des inspecteurs, des gendarmes (dépendant, eux, du ministère de la Guerre), les autorités pouvant en cas de besoin faire appel à l’armée. Dans les campagnes, les affaires de police sont prises en charge par les maires et leurs adjoints. Ceux-ci peuvent également s’appuyer sur un commissaire (dont le ressort regroupe alors plusieurs municipalités), ainsi que sur les gardes champêtres pour les zones spécifiquement rurales ; mais là, l’ordre est principalement assuré par la gendarmerie : c’est elle qui conduit, par exemple, l’essentiel des affaires judiciaires en province. En cas de troubles, l’armée intervient également. Globalement, le maillage apparaît faible au début du xixe siècle, même aux yeux des contemporains.
En matière policière, la période qui couvre la Restauration (1815-1830) et la monarchie de Juillet (1830-1848) est marquée par deux tendances. La première, liée à la « haute police », insiste sur l’usage politique de l’institution, dans le but de protéger l’État et le régime. Elle s’appuie sur des[...]
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Écrit par
- Quentin DELUERMOZ : professeur d'histoire contemporaine, université de Paris
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