POLICE EN FRANCE DE 1814 À 1870
À l’épreuve des crises sociales et politiques
Des mouvements plus profonds s’observent parallèlement. D’abord, les effectifs augmentent, bien qu’on constate de nettes inégalités territoriales : à Paris, le nombre de sergents de ville passe de quarante à neuf cents entre 1830 et 1848, tandis que, dans les campagnes, le manque de gendarmes ou de commissaires est manifeste. Dans les années 1830, 70 p. 100 des cantons possèdent une brigade de gendarmerie, mais le nombre de gendarmes ayant peu augmenté, en maints endroits, l’effectif n’autorise que des interventions ponctuelles. Et si la ville d’Aubusson (Creuse), à la population peu nombreuse, possède un commissaire de police en raison de l’importance des ouvriers, ces magistrats font largement défaut dans des départements entiers, comme dans le Bas-Rhin où les maires refusent cette charge financière supplémentaire.
Avec la croissance urbaine et les débuts de la vague migratoire issue des campagnes, de nouvelles formes de délinquance apparaissent ensuite, mais aussi de nouvelles peurs, telle celle des élites à l’égard des classes laborieuses, associées aux « classes dangereuses ». Ces classes laborieuses deviennent une des cibles de la suspicion policière. Le rôle croissant des discours portés par les journaux et les romans-feuilletons, au moment où ceux-ci acquièrent une importance fondamentale, touche aussi l’activité policière. Ce que l’historien des polices Jean-Marc Berlière a appelé le « syndrome de Vidocq » – l’idée d’une police proche du monde des malfaiteurs, soucieuse d’action politique et potentiellement violente – se forme alors et marque pour longtemps l’imaginaire social de la police et de ses agents. Le partage entre le visible et l’invisible devient un critère de plus en plus important dans les jugements portés sur l’institution.
Le poids des crises politiques, en plus des moments de tension, est enfin décisif. Un même mécanisme se reproduit à chaque fois : critique et suppression partielle des anciennes forces de l’ordre, expérimentation de nouvelles formes policières, puis retour des agents licenciés et durcissement des politiques répressives lorsque l’ébranlement dure trop longtemps. C’est le cas en 1830, mais aussi en 1848. À Paris, peu après la révolution de Février, le corps des sergents de ville est dissous. D’anciens modèles rejouent : l’ordre est assuré par des gardes nationales, suivant l’exemple de la Révolution française, mais aussi par des « gardiens de Paris » rasés, non armés et vêtus d’une tenue moins militaire, instaurés en 1848 par le préfet républicain Marc Caussidière. Très vite, avec l’installation de la République conservatrice, les anciennes forces de l’ordre sont rétablies : les sergents de ville parisiens reviennent pour le jour de Pâques 1849. Un nouveau pas est franchi, sous la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte, avec la renaissance du ministère de la Police générale, confié à son ami Charlemagne Émile de Maupas. Ce ministère sera toutefois de courte durée puisqu’il est remplacé en juin 1853 par une direction au sein du ministère de l’Intérieur.
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Écrit par
- Quentin DELUERMOZ : professeur d'histoire contemporaine, université de Paris
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