POLICE EN FRANCE DE 1814 À 1870
Une insertion sociale croissante ?
Avec le développement de la presse à 5 sous et des éditions à bon marché, la place de la police dans l’imaginaire social se renforce. Devant la peur croissante des malfaiteurs nocturnes, l’inspecteur de la Sûreté devient progressivement un héros littéraire, dont le commissaire Lecoq, inventé par Émile Gaboriau, constitue un prototype. De même, et avec l’aide de la censure impériale, la figure des sergents de ville, des gendarmes ou des commissaires tend à se normaliser sous les traits d’agents bienveillants et plus efficaces contre les criminels. Mais l’« image noire », ancienne, se prolonge en parallèle, alimentée par les abus policiers. La méfiance des populations, enfin, persiste.
La professionnalisation évolue elle aussi. Elle passe d’abord par la diffusion accrue du modèle militaire. Celui-ci concerne toutes les administrations, mais particulièrement la police : le vocabulaire, la tenue, les valeurs militaires supposées (discipline, courage, obéissance) imprègnent les organisations comme les agents au contact du public. Parallèlement, les procédures de recrutement tendent timidement à se faire plus exigeantes. La réglementation des activités, le discours interne sur la compétence, l’échelonnement des traitements, la précision des étapes de carrière et la garantie de retraite sont renforcés. La fonctionnarisation de certains corps de police s’accentue, quoiqu’il n’existe toujours pas de formation spécifique et que la mission proprement politique des agents reste importante.
Enfin, la nature des confrontations entre la police et la population change. Progressivement, les hiérarchies tentent d’imposer un meilleur contrôle de l’usage de la violence. Le phénomène est sensible pour la gendarmerie dans les campagnes, où s’observe, en dehors des pics de tension, une plus grande retenue dans les répliques. Mais il l’est également à Paris : à la fin des années 1860, en pleine phase de libéralisation du régime, la préfecture de police inaugure un recours gradué à la violence par la mobilisation successive des policiers municipaux, puis des gardes de Paris, et enfin de la troupe en cas de persistance du conflit. Cela tient aussi au fait que, avec l’augmentation des effectifs, les confrontations directes tournent de plus en plus à l’avantage des forces de l’ordre. D’autres facteurs interviennent : le seuil de sensibilité à la violence tend à baisser (la vue du sang apparaît de plus en plus insupportable), tandis que les populations se tournent davantage vers les autorités officielles (maire, justice, police) pour le règlement de leurs litiges. De manière lente, mais certaine, la place sociale de la police se modifie.
Bien que changée, cette place demeure tout en ambivalence, comme en témoignent les dernières années du second Empire. En 1869, la découverte du « massacre de Pantin » perpétré par Jean-Baptiste Troppmann provoque une fascination entretenue par la presse qui mobilise la figure nouvelle de l’inspecteur de la Sûreté décryptant les mystères criminels. De même, l’utilisation en première instance des sergents de ville lors du retour des émeutes et des mouvements de rue parisiens en 1870 limite les débordements de violence. En revanche, le pouvoir peut ne pas les utiliser selon les occasions. Les résultats du plébiscite du 8 mai étant favorables à la politique de Napoléon III, celui-ci met en place un plan antiémeutes destiné à mettre un terme plus direct aux mouvements de rue parisiens : le 9 mai 1870, place du Château-d’Eau, les heurts provoquent des morts parmi les manifestants. Cette même année, les premières grandes grèves se soldent, lorsque la troupe intervient, par des morts qui sont rapidement élevés au rang de martyrs. La police et ses acteurs, là, sont des ennemis. Le développement du mouvement républicain et de l’Internationale provoque également une intensification de la[...]
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Écrit par
- Quentin DELUERMOZ : professeur d'histoire contemporaine, université de Paris
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