POLICE EN FRANCE DE LA LIBÉRATION À NOS JOURS
La police française sort profondément transformée de la Seconde Guerre mondiale, et la IVe République naissante ne remet en cause ni l’étatisation des polices municipales, ni la création d’une force civile spécialisée de maintien de l’ordre, ni l’autonomie de la préfecture de police de Paris, ni le dispositif de formation qui ont été établis par le régime de Vichy. Par la suite, les tensions intérieures et extérieures nées de la guerre froide, les soubresauts de la décolonisation auxquels le nouveau régime sera rapidement confronté, et sa forte instabilité politique ne créent pas un climat propice aux réformes d’institutions policières sur lesquelles il devra toujours davantage s’appuyer, en fermant les yeux sur des pratiques qui rappellent celles de l’Occupation, en particulier durant la guerre d’Algérie. Ce n’est qu’à l’issue de ce conflit, avec la consolidation de la Ve République, que le mouvement de réforme reprend. En particulier, le général de Gaulle parachève en quelque sorte l’œuvre de Vichy par la loi du 10 juillet 1966, qui fusionne formellement la préfecture de police – sans pour autant lui faire perdre ses spécificités – et la sûreté nationale, au sein d’une police nationale (PN).
Dès lors, on pouvait estimer, au début des années 1970, que la construction du dualisme policier français était en quelque sorte achevée : la France disposait désormais de deux grandes institutions policières centralisées et généralistes à vocation nationale, l’une civile, la PN, l’autre militaire, la gendarmerie. Les polices municipales urbaines avaient pour ainsi dire disparu depuis 1941, les gardes champêtres apparaissaient comme une forme archaïque et pittoresque de police communale rurale. Subsistaient néanmoins, à côté de ces polices généralistes, des polices spécialisées, relevant d’administrations particulières, dont les compétences étaient strictement cantonnées, la principale d’entre elles étant la douane.
Si la création de la PN marquait en somme la fin d’un cycle, c’est un nouveau cycle qui s’enclenchait dans les décennies suivantes, où l’on discerne une double évolution. D’un côté, dans un mouvement centripète, une centralisation croissante de l’appareil policier d’État, dont on peut voir un prolongement dans la réunion, en 2009, sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, de la police et de la gendarmerie, préfigurant peut-être une fusion future. Ce mouvement accompagne la croissance constante des effectifs, qui passent d’environ soixante-quinze mille en 1950 à cent quarante-cinq mille agents en 2010. De l’autre côté, dans un mouvement centrifuge, une multiplicité policière qui tend à se renforcer : érection de la douane en troisième force nationale à la faveur de l’unification européenne ; résurrection des polices municipales qui, si elles ne représentent qu’environ 6 p. 100 des effectifs des polices d’État, sont présentes dans un nombre croissant de municipalités ; progression accélérée de la sécurité privée, dont les effectifs représentent dans les années 2010 les deux tiers de ceux des polices d’État. Tous ces acteurs sont désormais reconnus par l’État comme des « coproducteurs de sécurité » légitimes, les douaniers empiétant sur les attributions traditionnelles de la police nationale et de la gendarmerie nationale, tandis que les agents de police municipaux ou de sécurité privée les suppléent toujours davantage, dans les tâches de police au quotidien qu’elles jugent secondaires et dans un contexte où le brouillage entre public et privé s’accroît.
Guerre froide, décolonisation, Mai-68 : priorité à la sauvegarde des régimes politiques
De l’après-guerre au milieu des années 1970, les questions policières sont largement surdéterminées par le contexte politique : le maintien de l’ordre et la préservation du régime[...]
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Écrit par
- René LÉVY : directeur de recherche de première classe au C.N.R.S.
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