POLICE SOUS L'ANCIEN RÉGIME
La longévité du pluralisme provincial
Le préambule de l'édit d'octobre 1699, qui institue des offices de lieutenants-généraux de police pour toutes les villes de juridiction royale, évoque l'institution parisienne et les bienfaits que les habitants de la capitale en ont retirés. Officiellement, Louis XIV veut faire bénéficier les villes principales du royaume de cette disposition censée mettre fin au maquis des juridictions concurrentes et des pouvoirs policiers enchevêtrés. Mais la motivation première de cette décision est probablement financière, après la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697) qui a épuisé le trésor royal. Dans les faits, la mesure change peu de chose, sinon rien, aux systèmes policiers traditionnels dans les villes françaises. Sa réception est contrastée.
Certains intendants – ainsi à Lyon ou à Toulouse – y voient un moyen pour réorganiser les pouvoirs de police dans des villes dominées par des magistrats puissants. Mais en Provence ou en Dauphiné, leurs homologues plaident en faveur du maintien des institutions existantes et d'une police de style municipal. Pour conserver leurs prérogatives policières, nombre de villes rachètent les offices de lieutenants-généraux de police et les rattachent à l'Hôtel de Ville, à l'instar de Lyon, Toulouse, Marseille, Perpignan, Bayonne, Autun, Saint-Quentin... Le mouvement se poursuit au long du xviiie siècle à Rennes, Nantes, Angers, Brest, Moulins, Limoges. La mesure n'est pas appliquée dans toutes les provinces, dans les Flandres par exemple. Certains pays d'états procèdent à un rachat global de ces offices pour exempter les villes de leur ressort : c'est le cas de la Provence ou encore de l'Alsace. Paradoxalement, les plus grandes cités contournent l'édit de 1699 et ce sont les villes de moindre importance qui sont dotées de l'institution nouvelle. Là, des cours de justice (bailliage ou présidial) récupèrent l'office – ainsi à Riom, à Clermont, à Troyes. L'édit donne des pouvoirs très larges aux lieutenants-généraux de police et cette création, loin de simplifier la donne administrative des villes, multiplie parfois les conflits entre les autorités administratives et judicaires urbaines, ou avec les gouverneurs, responsables militaires dans les provinces.
Longtemps interprétée par l'historiographie comme une tentative d'uniformisation et de centralisation des polices, selon le modèle parisien et au profit de la monarchie, la mesure serait plutôt un échec. Mais son inégale application relève d'une prudence politique bien comprise. Dans les plus grandes cités, les magistrats tiennent en main leur ville. Les affaiblir risque fort d'être contre-productif. Louis XIV, en conquérant les villes de Flandres et du Hainaut à la fin des années 1660, a la sagesse de ne pas remettre en cause frontalement les pouvoirs de police des échevinages, fondés sur de longs siècles d'autonomie urbaine. La Révolution de 1789 et les élections municipales de janvier-février 1790 changent la sociologie des hommes placés à la tête de ces villes, sans modifier le contrôle que les municipalités exercent de longue date sur la police. À partir de l'été 1789, des décisions successives prises par l'Assemblée nationale confortent le caractère municipal de la police, supprimant dans les faits les aspirations centralisatrices qu'on pouvait prêter aux édits de 1667 et de 1699. La lieutenance-générale de police parisienne disparaît, quant à elle, dès juillet 1789 ; ses subordonnés et ses homologues provinciaux également, de 1789 à 1792, dans la foulée des réformes révolutionnaires qui abolissent les offices. Mais l'inégale réception et application de l'édit de 1699 ne signifie pas que les polices urbaines sont demeurées figées au xviiie siècle.
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Écrit par
- Vincent MILLIOT : professeur d'histoire moderne à l'université de Caen
Classification
Média