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POLICE SOUS VICHY

Une dérive sans précédent des missions policières

L' armistice est lourd de conséquences pour la police, puisqu'il impose à l'administration française de faire respecter des ordonnances allemandes qui ont force de loi dans la zone occupée, par exemple celles qui, successivement, y ordonnent le recensement des juifs en octobre 1940, le port de l'étoile jaune à partir du début de juin 1942, puis, en juin-juillet de la même année, la livraison massive de juifs étrangers ou apatrides. Ce sont à chaque fois l'administration et les policiers français qui doivent faire ce sale boulot : recenser, ficher, vérifier, contrôler, arrêter, rafler... comme le rappelle, le 26 juin 1942, le SS Theodor Dannecker, en charge de la « solution finale » pour la France, à Jean Leguay, représentant en zone occupée du secrétaire général de la police René Bousquet : « ... il s'agi[t] là d'une décision allemande qui devait être appliquée par la police française en tout état de cause ; la police française étant tenue par de telles décisions ».

À ces exigences de l'occupant, il convient d'ajouter la nature particulière de la législation du régime né de la défaite et officiellement intronisé à Vichy, le 10 juillet 1940, par le vote d'une écrasante majorité des parlementaires de la IIIe République. Depuis cette date, l'État français constitue le pouvoir légal. Obéissance lui est due. C'est une évidence pour des fonctionnaires d'autorité formés dans la double culture de la discipline et du respect de la légalité et qui doivent de surcroît, à partir d'août 1941, prêter serment au chef du nouvel État. Or ce régime met en place dès octobre 1940, de façon parfaitement autochtone, une législation raciale sans précédent dans l'histoire de la France. Celle-ci met au ban de la société ceux que la loi définit comme « juifs » et leur impose des interdits de plus en plus nombreux, lesquels les excluent de secteurs entiers de l'économie et les prive de l'accès à des centaines de professions, notamment de la fonction publique, mesures auxquelles s'ajoute une spoliation (biens immobiliers et mobiliers, œuvres d'art, entreprises commerciales et industrielles...) longtemps demeurée un tabou. Dès le 4 octobre 1940, une loi prévoit l'internement ou l'assignation à résidence, par simple décision préfectorale, des « étrangers de race juive » dans des camps spéciaux. Le 26 août 1942, des rafles en zone non occupée, organisées et décidées par le seul gouvernement français, complètent la livraison des juifs étrangers ou apatrides promise à l'occupant dans le compromis négocié début juillet entre René Bousquet et le SS Karl Oberg, chef suprême de la SS et de la police de sûreté en France occupée.

Les « soldats de la loi » que sont les policiers (mais aussi les gendarmes) se trouvent donc en situation de faire appliquer et respecter deux législations : les lois françaises et les ordonnances allemandes. Tout manquement à ces règles, toute infraction constatée (non-respect des heures de couvre-feu, fréquentation de lieux publics, papiers d'identité non conformes, défaut d'étoile, détention d'un téléphone ou d'un poste de radio...) – dont il ne pouvait échapper, même aux plus obtus des policiers, qu'il s'agissait de « délits » en opposition avec toute la tradition républicaine – entraînait l'internement administratif dont les conséquences ultimes étaient alors inconnues des acteurs comme des victimes.

Il est marquant, dans ces conditions, de constater combien la préfecture de police (P.P.), son administration, ses responsables, ses directions et sa hiérarchie se sont adaptés aux nouvelles lois et aux nouvelles missions qui en résultaient. Dès septembre 1940, la direction de la police générale[...]

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École nationale supérieure de la police, Saint-Cyr-au-Mont-d'Or (Rhône) - crédits : F. Catérini/ Inediz

École nationale supérieure de la police, Saint-Cyr-au-Mont-d'Or (Rhône)