POLICE SOUS VICHY
Les bases de l'organisation policière contemporaine
Soucieux de faire respecter l'ordre nouveau, d'appliquer les innombrables mesures d'exclusion qui touchent des catégories de plus en plus nombreuses, soucieux surtout d'affirmer sa souveraineté face au vainqueur, le nouveau régime a besoin d'une police forte, nombreuse, moderne, efficace et loyale. On imagine aisément que l'instrument que lui a légué la République ne répond en rien à ses ambitions et à ses besoins, ce qui explique une politique de réformes très active. Cette volonté se traduit par une œuvre législative et réglementaire considérable. Du 17 avril au 19 juillet 1941, ce ne sont pas moins de onze « lois » qui vont remodeler et transformer de fond en comble l'organisation et le paysage policiers.
La mesure la plus spectaculaire est l'étatisation des polices municipales des villes de plus de dix mille habitants (loi du 23 avril 1941), dans lesquelles les maires perdent leurs pouvoirs de police au profit d'intendants de police et de directeurs régionaux qui dirigent, dans chacune des vingt régions créées, des « polices régionales d'État ». Cet échelon est chapeauté au niveau national par trois grandes directions – « P.J. » (qui deviendra « police de sûreté » à l'automne de 1942), « sécurité publique » et « R.G. » – sous l'autorité d'un secrétaire général à la Police qui a rang de ministre. Seul échec : la police parisienne conserve son organisation et ses statuts originaux, car Vichy, devant l'hostilité des Allemands extrêmement circonspects à l'égard de toute réforme policière dans la zone occupée, a échoué à intégrer la P.P. dans la police nationale.
La création d'un corps civil de maintien de l'ordre pour pallier la forte réduction des effectifs (qui passent de 20 000 à 6 000) de l'ex-garde républicaine mobile est une autre innovation appelée à un grand avenir. En uniforme, casernés, soumis à une discipline toute militaire, implantés régionalement – d'abord et essentiellement en zone non occupée –, les Groupes mobiles de réserve (G.M.R.) – un peu moins de dix mille hommes répartis en cinquante-huit puis soixante-six groupes régionaux – disposent de leur propre direction nationale à partir de mars 1943. Impliqués dans la répression des maquis en Savoie, dans l'Ain, le Périgord, le Limousin en 1943 et en 1944, ils donneront naissance aux Compagnies républicaines de sécurité (C.R.S.), qui leur sont substituées en décembre 1944.
Ces mesures imposent la prise en charge par l'État de l'essentiel des dépenses de police jusqu'alors supportées par les municipalités. Elle est d'autant plus nécessaire que cette réorganisation exige un accroissement considérable des effectifs, même si les totaux théoriques ne furent jamais atteints du fait de difficultés récurrentes de recrutement.
Dernier volet de ce train de réformes, Vichy souhaitait des policiers nombreux, certes, mais également professionnels et performants. Pour ce faire, plusieurs écoles régionales et une École nationale supérieure de police, installée à Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, furent créées.
Ces réformes – accroissement des effectifs, formation, professionnalisation, équipement matériel... – furent accueillies avec satisfaction par un monde policier qui partageait quelques idéaux et un certain nombre de valeurs avec le nouveau pouvoir, mais qui, par-dessus tout, apprécia de voir aboutir des revendications très anciennes comme l'étatisation, l'unification et la centralisation, attendues et réclamées depuis le début du xxe siècle. Cette satisfaction ne résista pas aux « besognes immondes » imposées à des policiers attentifs à l'évolution générale de la guerre, aux avertissements venus de Londres ou de la Résistance intérieure, aux[...]
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Écrit par
- Jean-Marc BERLIÈRE : professeur émérite à l'université de Bourgogne
Classification
Média