POLITIEN ANGELO AMBROGINI dit ANGE, ou POLIZIANO (1454-1494)
Originaire de Montepulciano (d'où il tire son nom de lettres : il Poliziano, que nous francisons en Politien), Angelo Ambrogini est bien l'une des figures les plus représentatives et en même temps les plus originales du Quattrocento italien, et plus spécifiquement florentin.
En une génération plus tournée vers la spéculation philosophique que vers le lyrisme, il unit des dons de poète à une vaste érudition, plus païenne que chrétienne, dit-on. On lui a maintes fois reproché de négliger l'Écriture sainte au profit des auteurs latins et grecs, de préférer aux Psaumes de David les Odes de Pindare. Non sans quelque apparence de raison : élève du néo-platonicien Marsile Ficin, il enseigne lui-même le grec à Florence et on lui doit un grand nombre de travaux savants. Protégé et ami de Laurent le Magnifique ainsi que de toute la famille des Médicis, il reflète dans son œuvre en vers l'épicurisme distingué et raffiné qui règne à la cour. Il introduit dans une poésie souple, harmonieuse, délicate, voilée de mélancolie devant la brièveté des joies et la conscience de la fuite du temps, et dont a disparu le symbolisme cher à Pétrarque, les fables, les mythes, les sentiments de l'Antiquité. Il compose pour le frère cadet de Laurent, Julien de Médicis, un morceau resté fameux, qui figure en bonne place dans toutes les anthologies, Le Tournoi (Stanze per la giostra). Poème de commande et de circonstance, selon l'usage, il vise à célébrer la victoire remportée au tournoi par Julien et fait pendant à celui que son illustre contemporain Pulci a exécuté pour Laurent. L'œuvre reste inachevée, peut-être parce que Julien allait tomber sous le poignard des Pazzi, le 26 avril 1478, mais surtout parce que ce prélude (les 125 octaves du premier livre et les 46 octaves du second) est plus conforme à son génie que la tâche ingrate de chanter les armes. Dans des tableaux gracieux, au sein d'une nature idyllique, il évoque la chasse de Julien, sa rencontre avec la belle Simonetta Cattaneo, qui a été célébrée par Botticelli dans sa Primavera, et qui éveille à l'amour un cœur jusque-là indompté, enfin le palais de Vénus et ses fastes. On est encore redevable à la plume de Politien de La Fable d'Orphée (Fabula di Orfeo, 1471) dans la tradition des rappresentazioni sacre. Ce genre de spectacle foisonne partout en Italie, mais il était réservé jusque-là à des sujets chrétiens. En fait, si Politien remplace la Vierge et les saints par les héros et les dieux, il ne renouvelle pas le genre dramatique : l'action reste languissante, pour ne pas dire inexistante, et il s'agit plutôt d'une juxtaposition de tableaux. En outre, la pièce se ressent quelque peu de la hâte avec laquelle elle a été écrite, puisqu'elle est improvisée en deux jours à Mantoue. La Fable d'Orphée n'est pas non plus le premier de la série des spectacles profanes mais il est en tout cas le plus célèbre.
Politien offre de manière exemplaire un des multiples visages de cette Florence déchirée de contradictions : celui du mécénat, d'une élite éprise d'érudition, d'art et de plaisirs sensuels ; bientôt viendra Savonarole dont les âpres et austères sermons, les rugueux accents bibliques renoueront avec la tradition médiévale, galvanisant tout un petit peuple qui n'a aucune place dans le monde clos et enchanté des cours.
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Écrit par
- Angélique LEVI : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice
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