Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

POLITIQUE La philosophie politique

Le maître absolu et la société des individus privés

Le vrai État rend possible la forme la plus haute de la vie humaine, la theôria du cosmos, pour ceux qui en ont la vocation ; aux autres, ses lois procurent une existence digne dans une liberté responsable. Il est vrai que certains philosophes, les cyniques, les épicuriens, les héritiers des sophistes, voient dans la cité, dans la morale traditionnelle, dans les lois autant d'inventions arbitraires qui séparent l'homme de la nature ; mais aussi n'élaborent-ils pas une philosophie politique et se retirent-ils de toute vie publique, prêchant tout au plus (surtout les cyniques) un salut par le retour à la nature ; leur apparition coïncide, et nullement par hasard, avec l'assujettissement des cités par les royaumes et les empires naissants.

La forme de la vie dans la cité reste cependant la seule que peuvent concevoir ceux parmi leurs contemporains qui ne se détournent pas des problèmes de l'action en commun. Nulle part cette persistance n'est plus frappante que chez les stoïciens (il est vrai qu'à ses débuts l'école est très près des cyniques, mais elle retourne bientôt au problème politique, à partir du moment où elle finit, comme ses grands prédécesseurs, par définir l'homme non par le désir et la passion, mais par la raison) : s'ils ne peuvent pas éviter de reconnaître le déclin de la cité terrestre, ils en sauvent le concept en parlant d'une cité cosmique qui réunit dieux et hommes en une unité organisée par une Raison impersonnelle, omniprésente, toute-puissante, absolument sage, qui détermine le cours des événements, cours visible, il est vrai, au seul sage, mais auquel également l'homme qui n'a pas atteint la sagesse peut et doit s'abandonner : le fatum, loin d'être fatalité oppressive, lui donne l'assurance que tout possède un sens, quand bien même il ne le saisirait pas.

La cité des hommes et des dieux n'est que la plus vaste et la plus haute d'une hiérarchie de communautés. Déjà en naissant, l'homme se tourne vers ses parents, non par raison et réflexion, mais par un instinct social, le même qui le conduira à des associations toujours plus étendues, famille, ville, État (si Aristote définit l'homme comme animal politique, il ne s'agit pas pour lui d'un instinct, mais de la constatation que l'homme ne se réalise pleinement que dans la cité). Cet instinct est transfiguré dès que l'homme accède à la raison : ce qui était penchant devient conscience du devoir envers autrui et la communauté, et une morale élaborée peut naître, ensemble de devoirs, relatifs il faut l'admettre, puisqu'ils ne lient pas le sage, mesure vivante du vrai bien et du vrai mal, mais devoirs pour tous ceux qui ne sont pas des sages.

Le concept du devoir prédomine ainsi : il n'y a plus de cité qui puisse par ses lois éduquer l'individu à la vertu (au sens de perfection de l'homme sous tous les aspects de son être et de ses possibilités) : l'individu a beau faire confiance à la Raison de l'univers, il se trouve obligé de s'orienter dans son existence au moyen de règles qu'il s'impose lui-même ; encore quand il suit un maître à penser, c'est lui qui l'a choisi sous sa propre responsabilité. La loi n'est plus que la volonté du prince, du roi, de l'empereur, et elle peut être contraire à la raison, à l'humanité (concept d'origine stoïcienne) : l'homme de bien suivra la voix du devoir, quelles qu'en puissent être les conséquences, qu'il soit esclave, tel Épictète, ou qu'il soit sur le trône, tel Marc Aurèle. Son devoir n'est pas devoir de Grec ou de Barbare, d'homme libre ou d'outil à face humaine acheté au marché : il est devoir d'homme.

On comprend pourquoi cette[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

Le Don de Constantin - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Le Don de Constantin

Autres références

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • ABRABANEL (1437-1509)

    • Écrit par
    • 912 mots

    Le conflit entre les théories philosophiques universalistes et un attachement plus proprement religieux à la tradition existait depuis plus de deux siècles chez les penseurs juifs. La philosophie sous sa forme averroïste admettait généralement que la vérité philosophique ne différait de la vérité...

  • ABSTENTIONNISME

    • Écrit par
    • 6 313 mots
    • 3 médias
    Une deuxième tradition privilégie l'explication « politique ». Françoise Subileau et Marie-France Toinet soutiennent en ce sens que l'électeur participe d'autant plus volontiers qu'il perçoit l'utilité politique de son vote. L'abstention est également expliquée par des raisons et des raisonnements politiques....
  • ACTION HUMANITAIRE INTERNATIONALE

    • Écrit par et
    • 7 245 mots
    • 1 média
    ...des années 1970, on voit se dessiner dans les grandes démocraties, nettement à travers le discours et de façon plus floue dans la pratique, l'idée d'une politique étrangère au service de l'action humanitaire et des droits de l'homme. Aux États-Unis, le président Jimmy Carter, dont le sous-secrétaire d'État,...
  • Afficher les 144 références